Cinq critères d’évaluation du budget fédéral

Author(s): 
March 26, 2012

Le prochain budget du gouvernement – si les annonces se révèlent exactes – pourrait changer fondamentalement l’orientation du Canada.

Un budget d’austérité ne ferait pas que menacer la reprise économique en perte de vitesse du Canada : il s’écarterait de ce que le Canada en général considère comme ses priorités, soit la création d’emplois, le nivellement des inégalités sur le plan du revenu et la volonté de garantir que les services publics chers aux citoyens comme les soins de santé et l’éducation sont là pour nous tous.

Le Canada a déjà franchi le tiers de ce qui pourrait bien s’avérer une décennie perdue de taux de chômage élevés, de chutes des revenus, d’inégalités qui se creusent, d’insécurité chronique et de rêves anéantis pour une génération de jeunes.

La plupart des Canadiens croient que le Canada est encore en récession, même si elle a officiellement pris fin il y a deux ans et demi. Les attitudes des Canadiens au sujet de leur mieux-être et de celui de leurs enfants se sont assombries considérablement depuis quelque temps.

Les dernières statistiques sur l’emploi révèlent une face en grande partie cachée du chômage dans le sillage de la récession. Si les taux de chômage sont tombés à 7,4 % en février, ce n’est pas à cause de la création d’emplois. En fait, 2 800 emplois sont disparus. S’ils ont diminué, c’est plutôt parce que 28 000 travailleurs découragés ont tout quitté le marché du travail.

Le taux d’emploi, qui mesure le pourcentage de la population en âge de travailler occupant un emploi, s’établissait à 63,8 % au début de la récession, en octobre 2008. En février 2012, il était de 61,6 %, taux qui reflète le nombre énorme de travailleurs découragés qui ont quitté le marché du travail. Si le taux d’emploi était revenu à son niveau d’avant la récession, 541 000 personnes de plus travailleraient.

Pendant que les partis de l’opposition et la société civile se préparent à réagir au budget, voici cinq critères qui pourraient aider à circonscrire leur évaluation.

  1. Inégalité: Il s’agit de la grande préoccupation des Canadiens (sondage EKOS). Creusé par les gains exorbitants de revenu réalisés par la tranche de 1 % des plus riches, l’écart entre les riches et le reste de la société atteint un niveau sans précédent et s’élargit plus rapidement même qu’aux États-Unis. Même la Banque du Canada préconise des mesures pour réduire la disparité des revenus en affirmant qu’elles maintiendront la croissance. L’inégalité ne constitue toutefois pas un enjeu pour le gouvernement au pouvoir. Il faudrait évaluer les mesures budgétaires en déterminant si elles réduisent ou non l’inégalité.
  2. Emplois: Les réductions de l’impôt sur le revenu des sociétés devaient déclencher une explosion de création d’emplois. Ce ne fut pas le cas. Les entreprises du Canada ont plutôt profité de leurs gains fortuits pour accumuler des réserves liquides de plus de 500 milliards de dollars. Outre l’iceberg caché que constitue le chômage, le marché du travail fait disparaître des emplois depuis quelques mois : 37 000 personnes de moins travaillaient en février qu’en septembre dernier. Le budget supprimera des milliers d’autres emplois des secteurs public et privé. Il faudrait évaluer l’effet cumulatif de ce budget et des budgets précédents sur l’emploi en fonction de l’ampleur même du problème que constitue le chômage.
  3. Investissements sociaux: Les Canadiens attachent une très grande priorité aux investissements publics dans l’éducation, la santé, les pensions, etc. L’expansion des dépenses des secteurs militaire et policier et de celui de la « sécurité nationale » déplace des services publics essentiels qui améliorent le mieux-être des gens. Le gouvernement fédéral cède aux provinces son rôle historique dans l’assurance-maladie au Canada. Il laisse tomber les solutions publiques à la crise des pensions en faveur de « solutions » du marché qui rendront la retraite plus difficile pour les générations de demain. Il faut analyser des mesures budgétaires précises pour déterminer si elles endommageront encore davantage notre filet de sécurité sociale.
  4. Production de recettes: Les réductions énormes de l’impôt sur le revenu des sociétés et de l’impôt sur la richesse menottent de façon spectaculaire la capacité budgétaire du gouvernement d’aborder les problèmes de l’heure. Elles ont affaibli les programmes sociaux, aggravé l’inégalité, sans réussir à créer les emplois promis. Les réductions d’impôt sabotent la capacité du gouvernement d’effectuer les investissements qui s’imposent pour améliorer les niveaux de vie et réduire l’inégalité. Il faut établir ce lien constamment. 
  5. Émissions de carbone: La réponse du gouvernement Harper devant l’échec spectaculaire du Canada qui n’a pas tenu ses engagements de Kyoto a consisté simplement à se retirer. Il a pris de nouveaux engagements de réduire les émissions de carbone, d’ici à 2020, de 17 % par rapport à leur niveau de 2005. Environnement Canada a toutefois signalé qu’en vertu de mesures existantes, le Canada réduirait ses émissions de carbone de 4,2 % seulement, ce qui est très loin de ces objectifs déjà dilués. Il faut déterminer de façon critique si les mesures budgétaires amélioreront considérablement le rendement sur le plan de la réduction des émissions.

Les Canadiens et les Québecois cherchent une solution de rechange positive au propos destructeur du libre marché qui domine leur vie depuis beaucoup trop longtemps – un nouveau propos qui remplace le cynisme par l’espoir, redonne à nous tous confiance dans les institutions publiques et donne confiance dans la réalité où nous pouvons faire de grandes choses ensemble. 

Bruce Campbell est le directeur exécutif du Centre canadien de politiques alternatives, qui vient de dévoiler son Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral.

Offices: