Fast Facts: Nous avons un plancher, il nous faut maintenant un plafond : réduire les inégalités de revenu au Canada

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February 4, 2010

Au cours des dernières décennies, nous avons observé une augmentation spectaculaire des inégalités de revenu, qui ont fait en sorte que les gains de la croissance économique se retrouvent surtout dans les mains d'une petite minorité aux échelons supérieurs de la répartition des revenus. Des études portant sur cette tendance démontrent que l'augmentation sans précédent des sommes versées aux dirigeants d’entreprise depuis le début des années 1980 constitue le principal facteur de croissance des inégalités. Cette tendance s'est accentuée par suite des modifications à l’imposition qui profitent aux personnes qui ont les revenus les plus élevés.

Le Centre canadien de politiques alternatives a suivi cette tendance dans une série d'articles sur les écarts croissants de revenus. Le plus récent rapport de Hugh Mackenzie établit la rémunération moyenne des têtes dirigeantes au montant ahurissant de 7,3 millions de dollars en 2008. Ce revenu était 174 fois plus élevé que les 42 305 $ de salaire moyen du travailleur canadien; et 388 fois plus élevé que les gains annuels de 18 833 $ d'un employé à temps plein au salaire minimum. On estime que ce rapport est maintenant de 7 ou 8 fois plus élevé qu'au début des années 1980. Mackenzie confirme également que de 1998 à 2008, « la rémunération des principaux chefs de direction a dépassé l'inflation de 70 pour cent », tandis que celle du travailleur moyen a diminué de 6 % en raison de l'inflation.

Les conséquences

Cette augmentation de l'inégalité des revenus a nui tant à l'économie qu'à la société. Sur le plan de l'économie, l'enrichissement d’un petit nombre et l'appauvrissement d’un grand nombre freinent considérablement la croissance des marchés intérieurs et de l'ensemble de l’économie. Avec la montée de l'individualisme et la subordination de la société au marché, l'âpreté au gain de ceux qui dirigent les entreprises s'est déchaînée, avec des résultats que la présente crise économique a vraiment mis en évidence.

En outre, des recherches récentes confirment que les facteurs décisifs de la santé des populations sont l'inégalité et la pauvreté : plus il y a d’inégalité, plus la population est en mauvaise santé. Les personnes qui paient le prix le plus élevé des sociétés très inégales sont les pauvres, qui risquent beaucoup plus que les autres de vivre moins longtemps, en moins bonne santé et malheureuses. Toutefois, des recherches récentes révèlent clairement que ces conséquences sur la santé sont proportionnelles au revenu : ceux qui se trouvent au bas de l'échelle des revenus souffrent d'une santé plus précaire que ceux du milieu, et ces derniers sont en moins bonne santé que ceux du haut de l'échelle salariale. Il en résulte que la plupart des Canadiens souffrent d'une moins bonne santé que si les revenus et la richesse étaient répartis plus équitablement. Dans un ouvrage récent, intitulé The Spirit Level: Why More Equal Societies Almost Always Do Better (2009), Richard Wilkinson et Kate Pickett compilent des preuves à l’appui de cette observation.

Cette abondance de preuves nous rappelle que, dans notre course à l'enrichissement de ceux qui sont déjà riches (rappelons-nous la déclaration de Michael Wilson qui voulait augmenter le nombre de milliardaires au Canada quand il était ministre des Finances sous Mulroney), nous compromettons non seulement la vie de millions de Canadiens, mais aussi la viabilité à long terme de la société canadienne. Il nous faut une nouvelle vision et de nouvelles politiques pour nous libérer de notre obsession actuelle d'avantager les riches. Il nous faut des politiques innovatrices qui réduiront l'inégalité au Canada.

Point de départ : plafonner les revenus

Une innovation qui contribuerait à réduire l'écart inacceptable et croissant des revenus marchands consiste à plafonner les montants versés aux plus hauts salariés. C'est la contrepartie essentielle de l’augmentation du salaire minimum qui constitue un plancher pour la répartition des salaires. L'idée de limiter les salaires des PDG n'est pas nouvelle et n’est pas celle de « marginaux ». Peter Drucker, le gourou de la gestion, a maintes fois soutenu que le salaire des PDG ne devrait pas dépasser 20 fois celui du travailleur moyen.  Dans les années 1970, et au début des années 1980, le salaire des PDG était de 20 à 25 fois le salaire annuel du travailleur moyen, et non 174 fois plus élevé comme c'est le cas maintenant. Si on avait mis en place en 2008 un plafond de 25 fois le revenu moyen des travailleurs, le revenu maximal des PDG se serait établi à 1 057, 625 $.

Contre l'établissement d'un plafond salarial, on pourra invoquer l’argument qu'un tel plafond serait un grave facteur de dissuasion, qui se traduirait par une réduction du temps et des efforts consacrés par les PDG à leur travail, ou par une émigration accrue des têtes dirigeantes. Il est peu probable, toutefois, que ces conséquences soient bien graves. D'abord, des revenus annuels d'un million de dollars sont plus que suffisants comme incitatif. Ensuite, le poste de la plupart des hauts salariés offre d'autres avantages très désirables, comme une autonomie et un pouvoir considérables, et un grand prestige dans la société. L'émigration est une possibilité, mais le pays de destination le plus probable serait les É.-U., où l'inégalité des revenus crée des problèmes sociaux encore plus grands, ce qui rend cette alternative peu attrayante sous plusieurs aspects importants. Certains partiraient, par contre, et il faudrait évaluer cette perte par rapport aux gains multiples d'une plus grande égalité, comme cela s'est fait en Saskatchewan lors de la mise en place du régime d'assurance-maladie, alors que les médecins menaçaient de partir.

D'autres parleront de la complexité de la structure de rémunération des PDG (salaire de base, bonis, options d'achat d'actions, etc.) et soutiendront qu'il serait impossible d'imposer un plafond applicable. Cet argument n'est pas très convaincant. En fait, des actionnaires mécontents dans beaucoup d'entreprises aimeraient bien qu’on simplifie les ententes de rémunération et qu’on les rende plus transparentes. Plusieurs d'entre eux verraient sans doute d'un bon œil la fin des structures de rémunération non limitée.

Après avoir établi les limites de revenu « plancher » et « plafond », nous pourrions examiner d'autres réformes visant à comprimer la répartition générale des revenus. Ces réformes comprendraient des taux d'imposition plus progressifs sur les revenus et la fortune, afin d'établir un plafond sur les revenus autres que les salaires les plus élevés, et une certaine mesure de revenu minimum garanti qui créerait un plancher pour retenir les personnes au plus bas de l'échelle salariale.

L'argument en faveur d’une telle solution est qu’une répartition plus égale des revenus serait dans l’intérêt de la plupart des Canadiens. Une limite supérieure aux revenus les plus élevés contribuerait à une plus grande égalité des revenus et, ainsi, à une meilleure santé et une meilleure qualité de vie. Le petit nombre qui profite de revenus astronomiques s'opposera sûrement. Mais il est possible de trouver des solutions stratégiques à toutes leurs objections. Et comme dit Drucker au sujet des revenus astronomiques : « Il n’y a pas de raison qu’il en soit ainsi. Rien ne le justifie. C'est moralement et socialement impardonnable, et nous allons en payer le gros prix ».

Messieurs Errol Black et Jim Silver sont membres du conseil du CCPA — Man.

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