Fast Facts: Réseau de santé « parallèle » : le loup dans la bergerie

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February 28, 2008

Cet article de Fast Facts a été publié le 19 février dans le Winnipeg Free Press. Presque en même temps, les médias parlaient du Rapport Castonguay au Québec. Ce rapport faisait suite à la décision rendue par une faible majorité en Cour suprême, l'année précédente, et qui ouvrait la voie à la possibilité d'un réseau de soins de santé parallèle, du moins au Québec.

La proposition de permettre l'établissement d'un réseau parallèle est au cœur du rapport et est celle qui aurait les plus graves conséquences sur un réseau universel dans lequel ce sont les besoins qui déterminent les services. C'est pour cette raison que M. Michel Venne, un des trois membres du groupe de travail Castonguay, s'est dissocié des principales recommandations.

Ceux qui font la promotion d'une plus grande privatisation du réseau canadien de soins de santé, à caractère mixte public-privé, ne tiennent pas compte des comparaisons avec les É.-U. où le réseau, surtout privé, est si terriblement entaché de coûts élevés et d’un accès limité. Ils nous comparent plutôt à d'autres pays en vue de proposer toute une gamme de solutions ahurissantes qui font appel à la privatisation. Une de ces plus récentes solutions, le réseau « parallèle », correspond à ce qui se passe dans d'autres pays, particulièrement en Europe. Ce réseau permet à des établissements privés à but lucratif de cohabiter avec les services publics, de sorte que les patients qui en ont les moyens peuvent consulter dans une clinique privée, au lieu de faire la file. Les défenseurs de cette proposition prétendent que cela libère des places dans la liste d'attente du réseau public et, qu’ainsi, tous les patients reçoivent leur traitement plus rapidement.

Au Canada, deux obstacles se dressent devant cette solution. Le premier est la Loi canadienne sur la santé qui interdit aux médecins de surfacturer les services assurés. Cela n'empêche pas les médecins d'exercer à titre privé, mais c'est un frein qui les décourage de le faire. L'autre provient du fait que six provinces, y compris le Manitoba, interdisent aux médecins d’exercer à la fois dans le réseau public et à titre privé. Le Canada n'est pas le seul pays à « interdire les soins de santé privés ». La Suède, la Grèce et l'Italie interdisent aussi d'exercer en même temps dans les deux réseaux. D'autres pays utilisent des moyens différents pour aboutir aux mêmes résultats. La Hollande a un réseau parallèle en plus du réseau public, mais les patients ne peuvent passer de l'un à l'autre. La France interdit aux médecins en pratique privée de demander des honoraires plus élevés que ce que le réseau public leur accorderait. Toutes ces interdictions existent parce que leur suppression NE réduirait PAS les délais d'attente dans le réseau public. En outre, leur suppression entraînerait l'expansion du réseau privé AUX DÉPENS DES patients que le réseau public soigne.

Une étude réalisée en 2006 révèle que les délais d'attente en Angleterre, où le réseau parallèle est très bien établi, atteignent trois fois la durée des délais d'attente les plus excessifs au Canada. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont aussi des réseaux parallèles. Les délais d'attente de leur réseau public sont aussi plus longs que ceux des pays qui découragent l'expansion du réseau privé. Quand la chirurgie de la cataracte se pratiquait dans des cliniques privées au Manitoba, le délai d'attente le plus court profitait aux patients qui payaient pour leurs soins. Au milieu se trouvaient les patients dont les médecins exerçaient seulement dans le réseau public. Les délais d'attente les plus longs étaient dans les files d'attente du réseau public dont les médecins pratiquaient aussi dans le privé. Cela concorde avec les observations faites en Angleterre où les médecins offrent des soins plus rapidement aux patients de leur cabinet privé aux dépens de ceux qui ne peuvent pas payer leurs honoraires. Selon ce que les économistes appellent un « incitatif pervers », ils ont intérêt à maintenir de longues listes d'attente dans le réseau public, afin d'amener des patients à payer pour des soins privés. Comme les professionnels de la santé ne peuvent pas se trouver à deux endroits en même temps, il est difficile de penser que leurs déplacements entre les réseaux public et privé amélioreront le réseau public. En réalité, des études en Belgique et en Australie ont souligné la tendance des établissements privés et des assureurs à laisser les cas les plus onéreux au réseau public et à « filtrer » les personnes en meilleure santé et les moins coûteuses à traiter.

Le réseau parallèle impose d'autres pressions sur le réseau public. Un patient qui verse des honoraires échappe à la file d'attente pour obtenir une IRM, mais échappe aussi à la file d'attente du réseau public pour le traitement à recevoir si l'examen détecte un dysfonctionnement. Cela allonge encore plus la file d'attente des patients du réseau public
qui n'ont même pas encore obtenu l'IRM. Pire encore, des recherches en Angleterre ont révélé un taux impressionnant de complications (d’environ 20 % comparativement à 1 à 2 % dans le réseau public) après une chirurgie de la hanche effectuée dans les cliniques privées. Ces patients ont tous fait appel au réseau public pour recevoir les traitements requis en conséquence de ces complications.

L'argumentation en faveur d'un réseau parallèle prend appui sur le mythe selon lequel tout le monde serait gagnant. Mais le réseau parallèle compromet nettement l'accès aux soins de ceux qui en ont souvent le plus besoin et qui ne peuvent pas payer des soins privés.

Des soins de santé axés sur le besoin, et non sur la capacité de payer, sont une des caractéristiques de notre réseau actuel que la plupart des Canadiens veulent conserver. Malheureusement, des preuves telles que celles rapportées dans cet article n'ébranlent pas les défenseurs de la privatisation. C'est probablement parce que ses principaux champions tireront profit d'une plus grande privatisation. Par exemple, une conférence récente, commanditée par les propriétaires de cliniques privées au Canada, portait entièrement sur la façon de convaincre un public sceptique des « bienfaits » qu'apporterait un réseau privé jouant un plus grand rôle dans les soins de santé. L'une des stratégies proposées pour y arriver consistait à présenter le réseau parallèle comme le sauveur de l'accès universel aux soins.

Nous dépensons beaucoup trop d'énergie à défendre le réseau public au lieu de nous attaquer aux véritables enjeux. Ceux-ci comprennent l'augmentation constante de la demande, une pénurie de personnel, l'accès aux soins primaires, la nécessité de se préoccuper de la prévention des maladies, le besoin d'un programme national d'assurance-médicaments et l'absence d'un débat démocratique auquel participerait un public éclairé. Puisque 30 % des dépenses totales en soins de santé au Canada sont absorbées par le réseau privé, un bon point de départ pourrait être de chercher des moyens d'améliorer le régime d'assurance-maladie, et non de l’affaiblir
davantage. Et cela est à notre portée. Par exemple, l'Alberta a réduit le délai de remplacement de la hanche et du genou de 19 à 11 mois en centralisant les listes d'attente. À Sault-Sainte-Marie, le recours à une méthode axée sur le travail d'équipe a permis de réduire de 50 % les réadmissions pour des problèmes cardiaques. Au Manitoba, une expérience visant à encourager davantage la pratique multidisciplinaire en groupe commence à donner des résultats qui améliorent l'accès en temps opportun aux soins primaires. Efforçons-nous maintenant de mettre en œuvre les nombreuses idées qui ont fait leur preuve en matière de politiques visant à renforcer notre réseau public.

 

Pete Hudson est associé en recherche du Centre canadien de politiques alternatives – Manitoba et chercheur principal à la faculté de service social de l’Université du Manitoba.

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