Introduction
Le renforcement du système public de santé a fait figure de question mineure lors de la récente campagne électorale fédérale, alors que les trois quarts des Canadiennes et des Canadiens estiment que le système de santé est en crise, selon un sondage Environics réalisé pour le compte de la Coalition canadienne de la santé1Anne Lagacé Dowson, Les électeurs veulent que les premiers ministres agissent face à la crise des soins de santé : Nouveau sondage, Coalition canadienne de la santé, 17 juillet 2024, https://www.healthcoalition.ca/fr/les-electeurs-veulent-que-les-premiers-ministres-agissent-face-a-la-crise-des-soins-de-sante-nouveau-sondage/..
Le premier ministre Mark Carney s’est engagé à maintenir les principaux programmes publics en matière de santé qui ont été mis en place au cours de la dernière législature, à savoir la stabilité du financement du Transfert canadien en matière de santé aux provinces et aux territoires, le Régime canadien de soins dentaires et l’assurance-médicaments universelle.
La plateforme électorale libérale contenait d’autres promesses de dépenses dans le domaine de la santé, notamment 4 milliards de dollars pour l’amélioration urgente de l’infrastructure de soins, comme les hôpitaux. Néanmoins, selon les observateurs, il est probable que les mesures de ce gouvernement activiste pour faire face à la crise des soins de santé aient déjà été reléguées au second plan2Tessi Sanci, « Trudeau era’s ‘activist’ health policy moves likely in the rear-view mirror, say consultants »,The Hill Times, 2 juin 2025, https://www.hilltimes.com/story/2025/06/02/trudeau-eras-activist-health-policy-moves-likely-in-the-rear-view-mirror-say-consultants-after-throne-speech/462164/..
Comme il s’est engagé à réduire l’impôt sur le revenu tout en augmentant considérablement le budget du ministère de la Défense nationale et d’autres postes budgétaires liés à la sécurité, il ne restera peut-être pas beaucoup de place pour de nouvelles initiatives en matière de santé. En fait, le premier ministre Carney pourrait être confronté à un choix difficile : creuser le déficit, augmenter les impôts ou procéder à des coupes profondes dans d’autres domaines de dépenses.
Dans sa lettre de mandat aux membres de son Cabinet, Mark Carney a établi une courte liste de priorités, dont aucune ne concerne le système public de santé. L’une de ces priorités est de « réduire les coûts pour les Canadiennes et les Canadiens et les aider à aller de l’avant »3Le très hon. Mark Carney, premier ministre du Canada, Lettre de mandat, Bureau du premier ministre, 21 mai 2025, https://www.pm.gc.ca/fr/lettres-de-mandat/2025/05/21/lettre-de-mandat., ce qui laisse entendre que les nouvelles initiatives en matière de santé seront jugées sur la base de leur capacité à améliorer l’accessibilité financière pour les familles canadiennes. Les personnes qui s’efforcent de mettre fin à la crise des soins de santé devront donc adapter leurs exigences de manière à ce qu’elles favorisent la résolution de la crise de l’abordabilité, pour éviter qu’elles ne se perdent dans un océan de politiques et de programmes moins prioritaires.
Vue d’ensemble
Deux programmes importants du gouvernement précédent, les soins dentaires et l’assurance-médicaments, sont incomplets. Ils nécessiteront tous deux un financement supplémentaire dans le présent budget et les suivants pour que tous les citoyens puissent bénéficier d’une couverture égale, en fonction de leurs besoins médicaux et non de leur capacité à payer ou de leur lieu de résidence.
Régime canadien de soins dentaires
Nouveauté bienvenue dans notre système public de santé, le Régime canadien de soins dentaires est financé par le gouvernement fédéral et administré par le secteur privé (ce qui est unique dans notre système essentiellement administré par les provinces) sans qu’il soit nécessaire de conclure des accords bilatéraux de financement et d’exécution avec les provinces et les territoires.
Plus de deux millions de personnes ont ainsi pu bénéficier d’un traitement dentaire financé par l’État, chez le professionnel de leur choix inscrit au régime. Toutefois, ce régime public diffère des autres, car les patients doivent satisfaire à plusieurs critères pour pouvoir en bénéficier, notamment un revenu annuel du ménage inférieur à 90 000 $ et l’absence d’une assurance privée, comme celles fournies par les employeurs.
Assurance-médicaments
L’année 2024 a été la plus importante de la dernière génération ou plus pour les militantes et militants qui plaidaient en faveur d’une couverture publique des médicaments sur ordonnance en dehors des établissements hospitaliers. Deux victoires ont été enregistrées : le projet de loi C64, Loi sur l’assurance médicaments, a reçu la sanction royale en octobre 2024; et le budget de la même année a affecté 1,5 milliard de dollars à la conclusion d’accords bilatéraux avec les provinces et les territoires pour couvrir les médicaments et les produits connexes destinés à la contraception et au traitement du diabète.
Bien qu’elle ne soit pas aussi ambitieuse que le rapport Hoskins, qui fait autorité, la Loi sur l’assurance médicaments conserve l’approche du payeur unique, conforme à l’assurance-maladie canadienne. C’était l’une des principales recommandations du Rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, publié en 2019 sous la direction du Dr Eric Hoskins4Santé Canada, Rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, juin 2019, https://www.canada.ca/fr/sante-canada/organisation/a-propos-sante-canada/mobilisation-publique/organismes-consultatifs-externes/mise-en-oeuvre-regime-assurance-medicaments/rapport-final.html..
Des accords bilatéraux sur l’assurance-médicaments ont été conclus avec le Manitoba, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon avant le déclenchement des élections5Santé Canada, Accords bilatéraux sur le régime national d’assurance médicaments, 24 avril 2025, https://www.canada.ca/fr/sante-canada/organisation/transparence/ententes-en-matiere-de-sante/accords-bilateraux-regime-national-assurance-medicaments.html..
Le premier ministre Carney et sa ministre de la Santé se sont engagés à poursuivre les négociations sur l’assurance-médicaments avec les neuf provinces et territoires restants, mais le ralentissement de la signature de nouveaux accords bilatéraux commence à inquiéter.
Financement en santé mentale
Le précédent gouvernement fédéral s’était engagé à financer les provinces et les territoires à hauteur de 2,5 milliards de dollars par année jusqu’en 2032 pour répondre à quatre priorités en matière de santé, dont la santé mentale et la consommation de substances psychoactives. Toutefois, l’examen des accords bilatéraux effectué par l’Association canadienne pour la santé mentale a révélé que la médiane des nouveaux fonds fédéraux consacrés à la santé mentale n’était que de 5,7 %, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et la Colombie-Britannique ne dépensant rien à ce titre6S.M. Leduc, Overpromised, Underdelivered: Analysis of Federal Mental Health Care Investments in the 2023 Working Together Health Bilateral Agreements, Canadian Mental Health Association, August 2024, https://cmha.ca/wp-content/uploads/2024/10/CMHA-Analysis-of-bilateral-agreements-report.pdf..
Services publics de santé pour tous les migrants, y compris les sans-papiers
De nombreux résidents temporaires et sans-papiers qui vivent au Canada et contribuent à son économie sont exclus de la couverture universelle de santé ou doivent surmonter d’importants obstacles pour y avoir accès. Cette situation constitue un déni du droit fondamental à la santé et entraîne des effets négatifs importants et évitables sur la santé7Jacob Bailey, “Failing Those in Need,” Healthy Debate, March 12, 2025, https://healthydebate.ca/2025/03/topic/failing-those-in-need-undocumented..
Stratégie en matière de ressources humaines dans le système de santé
Le gouvernement doit s’attaquer à la crise des ressources humaines dans le système de santé afin que chacun puisse avoir accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne et recevoir les soins dont il a besoin. Cette stratégie doit s’intégrer dans un système public qui s’oppose à la privatisation et à l’externalisation des soins et qui encadre les soins virtuels de manière adéquate.
Mesures
Le BFA rendra le Régime canadien de soins dentaires conforme aux principes de la Loi canadienne sur la santé en supprimant le critère de revenu pour déterminer l’admissibilité. Dans un premier temps, le seuil de revenu sera supprimé, ce qui permettra à 4,4 millions de Canadiennes et de Canadiens supplémentaires d’en bénéficier, pour un coût estimé à 1,45 milliard de dollars.
Dans les prochaines années, le BFA laissera aux patients le choix d’utiliser l’assurance privée fournie par leur employeur, ou de s’inscrire au Régime canadien de soins dentaires8David Macdonald, Missing Teeth: Who’s left out of Canada’s dental care plan, Centre canadien de politiques alternatives, 17 janvier 2024, https://www.policyalternatives.ca/news-research/missing-teeth-2/..
Le BFA continuera de négocier des accords relatifs à l’assurance-médicaments avec les neuf provinces et territoires restants et, pour donner suite au rapport du comité d’experts mandaté par la Loi canadienne sur la santé, il élargira la liste des médicaments couverts par les accords bilatéraux.
Le BFA augmentera, en concertation avec les gouvernements des provinces et des territoires, le financement des services de santé mentale pour qu’il représente au moins 12 % du budget alloué à santé, comme le recommande l’Association canadienne pour la santé mentale9Association canadienne de la santé mentale, Agir pour la santé mentale : Vers un plan fédéral pour des soins universels en matière de santé mentale et de santé liée à la consommation de substance, 2022, https://actformentalhealth.ca/wp-content/uploads/2022/11/AfMH-White-Paper-FR-FINAL.pdf..
Le BFA garantira une couverture santé provinciale ou territoriale universelle à tous les migrants vivant au Canada, quel que soit leur statut d’immigration, y compris aux sans-papiers, ainsi que des services de santé mentale prenant en compte les spécificités culturelles (voir le chapitre Immigration).
Le BFA légiférera afin d’établir des normes nationales pour le Programme fédéral de santé intérimaire et de mettre en place un système de paiement direct des prestataires afin d’éliminer les obstacles à l’accès aux soins et aux médicaments pour les réfugiés et les demandeurs d’asile (voir le chapitre Immigration).
Le BFA s’engagera à améliorer les soins aux patients, à inverser la tendance à la privatisation et à résorber la pénurie de main-d’œuvre dans le système de santé. Pour ce faire, il financera une stratégie globale qui comprend :
- un financement pour les collèges et universités publics afin d’augmenter leur capacité de formation;
- la promotion d’un large éventail de professions de la santé en tant que parcours de carrière gratifiants, afin d’assurer un afflux constant de talents dans le système;
- une garantie que les fonds de la santé transférés aux provinces sont utilisés pour fournir un salaire minimum de 25 $ l’heure au personnel sous-payé du secteur, y compris le personnel de soutien.
Le BFA veillera à ce que les accords bilatéraux en matière de santé subordonnent le financement fédéral au plafonnement du recours aux agences d’infirmières et d’autres professionnels de la santé, et imposent aux provinces et territoires d’augmenter le nombre de postes permanents au sein du système public10Congrès du travail du Canada, Travaillons ensemble : Bâtir un avenir meilleur pour les travailleuses et travailleurs, 2025, https://documents.clcctc.ca/PAC/2025/Federal-Elections/WorkersTogether_Platform_FR.pdf..


