Introduction
Le discours du Trône de 2025 s’intitulait « Bâtir un Canada fort : un plan audacieux et ambitieux pour notre avenir »1Gouvernement du Canada, Bâtir un Canada fort : un plan audacieux et ambitieux pour notre avenir, discours du Trône, Parlement canadien, Ottawa, Ontario, 27 mai 2025, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/campagnes/discours-trone/2025/batir-canada-fort.html.. Ce titre tranche avec celui du budget fédéral de 2024, « Une chance équitable pour chaque génération »2Gouvernement du Canada, Budget 2024 : Une chance équitable pour chaque génération, 2024, https://budget.canada.ca/2024/home-accueil-fr.html..
Même si les politiques et les pratiques découlant du budget 2024 n’ont pas atteint les objectifs fixés, l’idée qu’un Canada fort est une question de justice et d’équité était au moins présente. Le plan fédéral 2025 est loin de renfermer un tel engagement, en particulier en ce qui concerne les personnes âgées et les soins qui leur sont prodigués. Il ne prévoit pratiquement rien dans le domaine des soins, alors que le système de santé universel est depuis longtemps un fondement essentiel de l’identité et de la solidité du Canada, tant sur le plan économique qu’en termes d’équité.
Le gouvernement précédent a finalement introduit, après les avoir longtemps promis, des régimes d’assurance-médicaments et de soins dentaires3Gouvernement du Canada, Régime canadien de soins dentaires : Quels sont les services couverts, consulté en juin 2025, https://www.canada.ca/fr/services/prestations/dentaire/regime-soins-dentaires/couverture.html.. Ces deux régimes sont essentiels pour les aînés, en particulier pour les plus vulnérables. Cependant, ils sont loin de refléter le principe d’universalité de la Loi canadienne sur la santé, qui a jeté les bases de l’équité et de la solidarité canadiennes (voir le chapitre Santé).
Le gouvernement précédent a également financé l’élaboration de normes nationales relatives à la structure physique et aux services de soins de longue durée, sans pour autant subordonner le financement aux provinces et territoires à leur mise en œuvre. Il a mené une vaste consultation sur la loi promise sur les soins de longue durée sécuritaires, qui a permis d’identifier des pratiques prometteuses pour transformer le système, mais aucun projet de loi n’a été déposé.
Ce schéma de nouveaux fonds, de nouvelles initiatives et de nouvelles promesses s’est répété pour d’autres aspects, comme le soutien aux prestataires de soins, rémunérés ou non, et la planification de la main-d’œuvre. Toutefois, peu d’éléments indiquent que les provinces et les territoires aient été tenus de rendre des compte sur les programmes promis. L’information sur les résultats des régimes fédéraux ou provinciaux/territoriaux qui ont été créés est difficile à trouver, alors qu’un suivi était pourtant exigé. La pandémie de COVID-19 a révélé la nécessité d’un changement systémique fondamental dans la prise en charge des personnes âgées. Ce constat a donné lieu à la création de nouveaux programmes, mais a finalement abouti à des stratégies fragmentaires et à des dépenses considérables sans qu’il soit clairement démontré que l’équité s’améliore.
Nous vivons manifestement une ère nouvelle, avec un nouveau gouvernement qui a de nouvelles priorités. Nous en savons toutefois peu sur ses intentions concernant les soins de santé en général, et les soins aux aînés en particulier. Le discours du Trône s’est contenté de promettre d’assurer « la pérennité de programmes qui permettent déjà aux familles d’économiser des milliers de dollars par année », en citant explicitement l’assurance-médicaments et les soins dentaires4Gouvernement du Canada, Bâtir un Canada fort : un plan audacieux et ambitieux pour notre avenir, discours du Trône, Parlement canadien, Ottawa, Ontario, 27 mai 2025, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/campagnes/discours-trone/2025/batir-canada-fort.html.. Une certaine attention a également été accordée au logement, à l’emploi et au coût de la vie, qui ont un impact crucial sur les soins aux aînés. Parallèlement, les promesses d’augmenter le financement de l’OTAN ont été accompagnées d’avertissements annonçant des réductions de dépenses ailleurs5Alex Ballingall, « Carney Warns of Cuts amid Defence Spending », Toronto Star, 26 juin 2025, https://www.pressreader.com/canada/toronto-star/20250626/281500757237127.. Enfin, le gouvernement a promis de respecter les valeurs canadiennes6Gouvernement du Canada, Bâtir un Canada fort : un plan audacieux et ambitieux pour notre avenir, discours du Trône, Parlement canadien, Ottawa, Ontario, 27 mai 2025, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/campagnes/discours-trone/2025/batir-canada-fort.html.. Et on ne peut pas douter que l’universalité d’accès soit au cœur des valeurs canadiennes.
Nous ne pouvons pas continuer de remettre à plus tard les actions nécessaires pour que les personnes âgées puissent compter sur les services de santé et d’aide sociale dont elles ont besoin, aujourd’hui et à l’avenir.
Vue d’ensemble
Les répercussions dévastatrices de la pandémie de COVID-19 sur les personnes âgées ont mis en évidence les faiblesses fondamentales d’un réseau de soins non coordonné et sous-financé. Cette situation a incité les familles, les spécialistes et les défenseurs à réclamer une transformation audacieuse des soins, basée sur le droit fondamental d’accès à des soins et à des emplois de qualité dans le secteur des soins.
Il existe une base factuelle claire, étayée par de nombreux exemples étrangers, de pratiques prometteuses qui pourraient être adaptées aux différents contextes et populations du Canada afin de créer un système de soins intégré et accessible. Pour ce faire, il faut adopter dans les politiques et les pratiques une vision commune du droit aux soins pour les aînés et du droit à un traitement équitable pour tous les types de prestataires de soins. Il faut également s’engager à placer le bien-être des personnes âgées et des prestataires de soins au-dessus des profits et de la politique partisane.
Cette vision des soins ne repose pas sur une uniformisation, mais sur des principes permettant d’adapter les pratiques aux réalités géographiques, démographiques et culturelles. Elle n’est possible que si les soins sont une priorité budgétaire fédérale, avec des fonds dédiés, des actions définies, des principes, des normes et une obligation de rendre compte. Protéger les programmes existants ne suffit pas : il faut reconnaître qu’un système de soins universel est non seulement le plus équitable, mais aussi le plus avantageux sur le plan économique.
Au cours de la dernière décennie, d’importantes allocations budgétaires, des programmes fédéraux, des accords bilatéraux et des projets de loi ont été mis en place. Si plusieurs d’entre eux se sont révélés bénéfiques, ces différents éléments ne forment pas un tout. De nombreuses lacunes, un manque de coordination et une application limitée des normes sont constatés dans de nombreux secteurs. Tout cela rend difficile non seulement l’accès aux soins et leur dispensation, mais aussi le suivi des stratégies les plus efficaces.
Parmi ces éléments, on compte le financement à court et à long terme aux provinces et territoires pour :
- les services de soins à domicile et de proximité, les soins de longue durée et le redémarrage en toute sécurité après la pandémie;
- les équipements de protection et les améliorations de la qualité et de la sécurité des soins de longue durée;
- la mise en œuvre de nouvelles normes pour la conception et le fonctionnement des maisons de soins infirmiers ainsi que pour les soins qui y sont dispensés7L’auteure a fait partie du comité technique chargé d’élaborer ces normes pour l’Organisation de normes en santé.;
- le personnel d’aide à la personne et les professions connexes, pour ceux et celles qui exercent dans des régions éloignées.
Certains prévoyaient le financement de programmes fédéraux pour :
- le développement et la distribution de vaccins;
- l’élaboration de normes pour la conception et la fourniture de soins de longue durée;
- le recrutement de travailleuses et travailleurs de la santé étrangers;
- la création et le soutien d’organisations chargées de l’élaboration de politiques en matière de soins non rémunérés8Par exemple, Effectif de la santé Canada, la Coalition d’action pour les travailleurs de la santé et Excellence en santé Canada.;
- la collecte de données dans des domaines tels que la main-d’œuvre dans le secteur de la santé;
- l’offre de soutiens au logement, par le biais de prêts à faible taux d’intérêt et/ou de prêts-subventions, ou par des contributions pour aider à construire de nouveaux logements abordables et à rénover et réparer les logements à loyer abordable et communautaires9Société canadienne d’hypothèques et de logement, Le gouvernement fédéral soutient la réparation de logements pour personnes âgées à Saint-Basile, communiqué de presse, 20 mars 2025, https://www.cmhc-schl.gc.ca/salle-de-presse/news-releases/2025/gouvernement-federal-soutient-reparation-logements-personnes-agees-saint-basile.;
- des mesures ciblant les populations particulièrement vulnérables, comme les 2 milliards de dollars destinés à la santé des Autochtones;
- l’augmentation de la pension de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes de plus de 75 ans.
Bien que la liste des exemples ne contienne pas la loi sur les soins de longue durée sécuritaires promise par le gouvernement précédent, il est clair que le gouvernement fédéral a fourni des fonds importants et lancé de multiples initiatives susceptibles de concrétiser l’équité pour de nombreuses personnes âgées. Toutefois, il est difficile d’évaluer à quel point ces mesures prometteuses ont été mises en œuvre. Cette difficulté s’explique en partie par le fait que ces mesures étaient limitées en termes de responsabilité, d’application, de financement dédié ou réservé, et d’évaluation publique de leur impact. Dans certains cas, les provinces et les territoires n’ont même pas accepté les fonds offerts ou ne les ont pas utilisés dans les domaines prévus par les accords bilatéraux.
Malgré les nombreuses preuves que les soins privés à but lucratif sont préjudiciables aux personnes âgées et aux travailleuses et travailleurs qui en prennent soin, le gouvernement fédéral n’a pris que peu de mesures efficaces pour lutter contre le transfert croissant des fonds publics vers la prestation privatisée des soins aux aînés. Si une certaine attention a été accordée aux salaires et aux congés de maladie, notamment pendant la pandémie de COVID-19, il n’existe pas de plan plus large pour améliorer les conditions de travail, qui sont les conditions de soins. Cette absence de vision globale transparaît dans l’approche fragmentaire et non coordonnée des soins aux personnes âgées, ainsi que dans l’impact très limité et inégal qui en résulte.
Un plan audacieux et ambitieux est nécessaire pour les soins aux aînés. Il nous faut une vision qui reconnaît le droit fondamental à des soins et à un travail soignant de qualité, notre responsabilité partagée à l’égard du système public et de ses avantages, le besoin d’intégration et de continuité de ce système, ainsi que le fait que les conditions de travail sont les conditions de soins.
Le gouvernement fédéral affirme que les dépenses de défense créent des infrastructures et des emplois. Cet argument est également valable pour les soins aux aînés, mais avec l’avantage supplémentaire que les investissements dans ce secteur reflètent et renforcent les valeurs canadiennes d’équité et d’inclusion.
Mesures
Les mesures suivantes visent à mettre en place une vision dédiée, financée et responsable pour transformer les soins aux personnes âgées de manière à favoriser la qualité des soins, des conditions de travail et de vie. S’appuyant sur un vaste corpus de recherches, ce financement imposera des normes contraignantes, éliminera le profit dans la prestation de soins, rendra les soins financièrement accessibles pour les personnes âgées et garantira une rémunération et des conditions de travail appropriées pour les professionnels de ce secteur.
Le BFA améliorera les options qui s’offrent aux aînés en matière de logement et de conditions de vie. Cela se fera par le biais d’enveloppes de financement pour des logements abordables appartenant à l’État, qui intègrent des services de soins et permettent une transition en douceur lorsque les besoins de soins changent.
Le BFA transformera la manière dont les soins aux personnes âgées sont dispensés en finançant l’élaboration de normes pour les soins à domicile, les logements sociaux pour personnes âgées, les résidences-services et les maisons de retraite. Le BFA reconnaît que normalisation n’est pas synonyme d’uniformisation et que les responsabilités doivent tenir compte des populations, des lieux, des cultures, des langues et d’autres conditions.
Le BFA rendra le financement conditionnel à la mise en œuvre démontrée des normes applicables à l’ensemble des services et des prestataires de soins. Le financement des soins de longue durée, des soins à domicile et du soutien à l’autonomie des personnes âgées sera donc subordonné à l’amélioration des conditions de travail du personnel soignant. Cela peut inclure la fixation de planchers salariaux provinciaux ou territoriaux pour les catégories de personnel soignant, la garantie d’un nombre minimum de congés maladie, la réduction des disparités entre les soignants des différents secteurs de soins aux personnes âgées, ainsi que d’autres dispositions applicables à l’ensemble des établissements de soins.
Le BFA investira directement dans le développement des soins à domicile et des soins de longue durée en établissement afin de garantir que ces soins soient fournis à tous ceux et celles qui en ont besoin, là où ils sont le plus nécessaires. Il financera également des options de logement pouvant fournir des soins intermédiaires aux personnes âgées, comme les logements assistés, les maisons de retraite et les coopératives.
Le BFA fournira, conformément à la stratégie fédérale proposée en matière de logement, des fonds aux provinces et aux municipalités pour qu’elles construisent, détiennent et exploitent des établissements publics de soins de qualité et sans but lucratif aux personnes âgées.
Le BFA subordonnera le financement des soins de longue durée, des soins à domicile et du soutien à l’autonomie des personnes âgées à l’élimination progressive du recours aux agences de placement à but lucratif, à la collaboration avec les provinces et les territoires pour créer une agence centrale sans but lucratif qui fournira du personnel pour pallier les pénuries temporaires, ainsi qu’à l’harmonisation des salaires et des conditions de travail avec les employeurs locaux.
Le BFA subordonnera le financement des soins de longue durée, des soins à domicile et du soutien à l’autonomie des personnes âgées à l’établissement de normes contraignantes en matière d’heures quotidiennes de soins directs, dont découleront des exigences minimales en matière de postes à temps plein sur tous les lieux de travail.
À mesure que les meilleures pratiques en matière de soins évolueront, le BFA financera plus de 115 millions d’heures supplémentaires de soins directs par année, dans le but d’atteindre un minimum de 4,2 heures de soins directs par jour. Cet objectif sera atteint grâce à un investissement de 18,1 milliards de dollars sur trois ans. Actuellement, les heures de soins directs fournies dans les établissements de soins pour personnes âgées ne sont en moyenne que de trois heures par jour dans l’ensemble du pays. Le coût de la mise en place d’un minimum de quatre heures de soins directs par jour est estimé à 4,3 milliards de dollars par année10Yves Giroux, Estimation des coûts découlant de la motion 77 : Améliorations concernant les soins de longue durée, Bureau du directeur parlementaire du budget, 4 août 2021, https://distribution-a617274656661637473.pbo-dpb.ca/6454e34fe5733b262d6dd75591aaaaef0bf5c9c708fc453d046f56abf9beeb78..
Le BFA doublera la subvention accordée par Santé Canada à Effectif de la santé Canada pour permettre à ce programme de mettre en œuvre une stratégie exhaustive de main-d’œuvre à l’échelle du Canada afin de faire face à la crise actuelle de recrutement et de rétention dans le secteur des soins aux personnes âgées. À cette fin, il investira 9 millions de dollars par an.
Le BFA augmentera et rendra remboursable le crédit canadien pour aidant naturel pour ceux et celles qui prennent soin de personnes à charge de plus de 65 ans. Cette mesure n’aura pas d’incidence sur l’admissibilité aux services de soins à domicile financés par le gouvernement.


