Introduction

L’éducation postsecondaire, que ce soit dans un collège ou une université publique ou dans le cadre d’un programme d’apprentissage, est un élément fondamental de la démocratie et de la qualité de vie au Canada. Bien qu’une grande partie de cette éducation relève de la compétence des provinces et des territoires, et bien qu’un budget important y soit consacré, le gouvernement fédéral joue également un rôle financier important : il administre un programme national d’aide financière aux étudiants, le financement de la recherche et de l’innovation, ainsi que le programme Métiers spécialisés et apprentissage (Sceau rouge).

Le financement public de l’éducation postsecondaire par étudiant est en baisse depuis des décennies. Les déficits de financement ont été comblés par les revenus tirés des frais de scolarité des étudiants étrangers. Des changements soudains dans la politique fédérale d’immigration sont venus perturber ce flux de revenus, plongeant de nombreux collèges et universités dans le chaos financier.

En réaction, certains établissements ont réduit leurs activités : suppression et suspension de programmes, réduction de l’offre de cours et réduction du personnel académique canadien par le biais de diverses mesures, y compris des licenciements. Bien que les frais de scolarité soient plafonnés dans certaines provinces, l’abordabilité et l’accessibilité de l’enseignement supérieur restent un problème important.

Le nouveau gouvernement a pour mandat de renforcer la souveraineté canadienne par la « construction de la nation ». Pour ce faire, il doit soutenir toute la population canadienne, car les compétences et les talents de nos concitoyennes et concitoyens sont notre plus grande ressource. La souveraineté canadienne passe par la délocalisation intérieure de notre vivier de talents. Les investissements dans l’éducation postsecondaire, la recherche scientifique et l’innovation sont essentiels pour consolider les fondations du pays et remédier au sous-financement public de longue date, mis en lumière par la diminution importante des revenus provenant des étudiants étrangers.

Vue d’ensemble

Le monde entier regarde le président américain s’attaquer à l’enseignement supérieur et creuser un trou béant dans la capacité mondiale de recherche et d’éducation. La capacité du Canada à combler le vide ainsi créé est limitée, car ses propres fonds pour la recherche scientifique et l’enseignement supérieur ne suffisent déjà pas à répondre à ses besoins nationaux. Les attaques idéologiques de l’extrême droite contre l’éducation et la science ne sont pas nées aux États-Unis et elles n’ont pas épargné le Canada.

Le Parti Conservateur a récemment critiqué la recherche « woke » dans les universités1Parti Conservateur du Canada, Le changement. Pour une vie abordable. Pour des rues sécuritaires. Pour le Canada d’abord, April 18, 2025, https://canada-first-for-a-change.s3.us-west-2.amazonaws.com/20250418_CPCPlatform_8-5x11_FR-pages.pdf. et affirmé que les décisions fédérales de financement de la recherche sont motivées par les principes d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) plutôt que par le mérite. De son côté, le gouvernement Libéral a suggéré d’aligner le financement de la recherche gouvernementale sur les priorités nationales. Cette proposition s’écarte du modèle traditionnel, et important, de financement des recherches basées sur l’examen par les pairs et l’évaluation d’experts. Bien que les Libéraux se soient engagés dans le budget 2024 à créer l’agence Capstone pour superviser le financement de la recherche, cela pourrait en fin de compte permettre à un futur gouvernement de cibler le financement des sciences humaines et sociales, comme on a pu l’observer en Nouvelle-Zélande, où le gouvernement a éliminé le financement de la recherche pour ces disciplines2Veronika Meduna, « Amid cuts to basic research, New Zealand scraps all support for social sciences », Science, 6 décembre 2024, https://www.science.org/content/article/amid-cuts-basic-research-new-zealand-scraps-all-support-social-sciences..

Le taux de réussite du financement fédéral de la recherche au Canada doit être augmenté. Depuis 2013, le taux de réussite moyen des subventions Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) est de 38,2 %. Le Programme de subventions Projet des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) n’a financé que 20 % des demandes retenues au cours de l’année écoulée. Le Programme de subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) a enregistré un taux de réussite de 58 % en 2023, en baisse par rapport aux 67 % de 20193Résultats des concours du CRSH, des IRSC et du CRSNG.. Des projets jugés conformes aux exigences et suffisamment prometteurs n’ont pas été financés en raison d’un manque de fonds. Des recherches non financées signifient que de bonnes idées restent inexplorées, alors qu’elles contribueraient à nos connaissances et à notre savoir-faire collectifs. Si le Canada veut devenir un pôle mondial de la science et de l’innovation (notamment en attirant les meilleurs talents qui quittent les États-Unis), il ne lui faut pas de nouveaux programmes : l’écosystème de financement de la recherche au Canada a tout simplement besoin de plus de fonds.

Le financement public de l’éducation postsecondaire stagne depuis des décennies; il est en décalage par rapport à l’inflation et à l’augmentation du nombre d’étudiants. En 2022, les frais de scolarité et le financement privé ont dépassé la contribution gouvernementale aux revenus d’exploitation, franchissant ainsi le seuil des 50 %4Association canadienne des professeures et professeurs d’université, « Statistiques sous la loupe / La réduction du financement octroyé par les provinces a eu pour effet de refiler aux étudiantes et aux étudiants une plus grande part des coûts de l’enseignement postsecondaire », Bulletin de l’ACCPU, janvier-février 2025, https://www-archive.caut.ca/fr/bulletin/2025/02/statistiques-sous-la-loupe-la-reduction-du-financement-octroye-par-les-provinces-eu.. Le secteur public de l’éducation postsecondaire était autrefois considéré comme un autre point de contraste entre le Canada et les États-Unis, mais la situation est en train de changer.

L’augmentation des frais de scolarité exacerbe le problème d’abordabilité; près de la moitié des diplômés terminent leurs études avec une dette moyenne de 25 000 $5Statistique Canada, Dettes d’études lors de l’obtention du diplôme postsecondaire selon la source d’endettement, le niveau d’études et la province d’études, tableau 37-10-0255-02, 2 mai 2025, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3710025502&request_locale=fr.. Cette hausse ajoute du stress aux étudiantes et étudiants ainsi qu’à leurs familles, limite leurs perspectives d’avenir et réduit l’accessibilité à l’enseignement supérieur. Comme de plus en plus de Canadiennes et de Canadiens sont exclus de l’enseignement supérieur, le soutien du public diminue, ce qui pourrait encourager les attaques contre l’éducation et nuire à la productivité, à la prospérité et à la qualité de vie du Canada.

La plupart des collèges et des universités sont soumis à des contraintes financières. Au cours de l’année écoulée, ils ont procédé à des licenciements et à la suppression de programmes. L’Université McGill prévoit de supprimer jusqu’à 500 postes, l’Université York a suspendu 18 programmes, l’Université Carleton a réduit de plus de 50 % le nombre d’enseignants contractuels de sa faculté des arts et des sciences sociales, et de nombreux autres établissements, comme le Camosun College, le Mohawk College et le Fanshawe College, ont annoncé d’importantes coupures de postes ou suspensions de programmes. Ces tendances pourraient mener à des fermetures de campus, des fusions et une contraction importante de la capacité d’accueil du réseau d’enseignement supérieur à travers le pays, limitant ainsi l’accès des Canadiennes et les Canadiens à l’éducation, un moteur de prospérité.

Pour inverser cette tendance, il faut de l’argent neuf. Les récents accords fédéraux-provinciaux en matière de garde d’enfants et de financement en santé mentale montrent qu’il est possible d’obtenir d’importantes sommes pour les programmes sociaux. Le seul engagement du gouvernement fédéral en faveur de l’éducation postsecondaire lors des dernières élections a été une subvention à l’apprentissage pouvant atteindre 8 000 $. Cet engagement était le bienvenu, car l’apprentissage est un élément important de l’enseignement postsecondaire. Cependant, comme il s’agit du seul investissement dans le secteur, il ne reconnaît pas la valeur d’un programme d’études supérieures complet et ne saisit pas l’occasion de procéder à un vaste investissement dans l’ensemble des possibilités de formation et d’éducation au Canada. Cet engagement en faveur de l’apprentissage ne suffira pas à lui seul à stimuler l’innovation dont le pays a besoin.

Si les fonds promis pour l’apprentissage constituent un progrès pour résoudre les problèmes d’abordabilité, notons qu’à l’heure actuelle, seuls 46 % des apprentis terminent leur programme. Pour augmenter le taux d’achèvement, il faut aller au-delà de l’aide financière et apporter un soutien plus complet à l’apprentissage, favoriser un équilibre entre la formation en classe et le placement professionnel, et simplifier les règles de l’assurance-emploi (AE) afin de permettre la transférabilité entre les emplois tout au long de la formation. Il convient également d’envisager un soutien accru au Forum canadien sur l’apprentissage, de déployer des efforts pour augmenter la participation des travailleuses et travailleurs sous-représentés dans les métiers, et d’inciter les employeurs à retenir les apprentis en leur proposant plusieurs niveaux de formation.

Le budget fédéral de 2025 sera présenté près d’une décennie après l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. L’écart entre les étudiants autochtones et non autochtones en matière d’éducation postsecondaire s’est creusé au cours des dernières années. Le gouvernement fédéral doit donc renforcer considérablement son soutien aux apprenants des Premières Nations, des Inuits et des Métis et honorer leur droit inné et conventionnel à une éducation conforme à leurs cultures, valeurs, traditions et langues, afin de promouvoir un modèle holistique d’apprentissage tout au long de la vie.

Mesures

Le secteur de l’éducation postsecondaire du Canada souffre d’un sous-financement chronique et doit maintenant relever des défis de plus en plus importants pour soutenir la recherche scientifique et garantir l’accès à l’éducation pour L’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. La stagnation du financement public, l’augmentation des coûts, la perte de revenus provenant des étudiants étrangers en raison du plafonnement des visas d’étudiants (mesure qui a également eu d’énormes répercussions sur ces étudiants; voir le chapitre Immigration) et la privatisation croissante limitent l’accès à l’éducation et entravent la croissance nationale. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership et prendre des mesures pour inverser ces tendances, soutenir les groupes sous-représentés et préserver l’intégrité des établissements d’enseignement et de recherche.

Le BFA portera le montant maximal de la bourse canadienne pour étudiants à 8 000 $ et abaissera le seuil de revenu permettant d’y accéder. Le montant de la bourse est actuellement de 4 200 $ et il est prévu qu’il descende à 3 000 $ en 2026, soit bien en-deçà de la moyenne des frais de scolarité d’un étudiant de premier cycle, qui s’élève à 7 000 $ par année6Statistique Canada, Droits de scolarité des étudiants canadiens et internationaux selon le niveau d’études (dollars courants), tableau 37-10-0045-01, publié le 4 septembre 2024, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3710004501&request_locale=fr..

Le BFA annulera la dette étudiante fédérale des diplômés travaillant dans les communautés rurales et éloignées. Cette mesure favorisera l’accès à l’éducation des apprenants de ces régions, qui sont moins susceptibles de poursuivre des études postsecondaires que les jeunes des zones urbaines.

Le BFA fournira 10 milliards de dollars qui seront distribués dans le cadre d’accords de responsabilité conclus avec les provinces concernant des priorités communes. Ce montant sera assorti d’une clause d’indexation de 5 % par année. Les priorités partagées doivent inclure la réduction des frais de scolarité avec l’objectif à terme de les éliminer, la mise en œuvre d’une stratégie en matière de personnel universitaire, la lutte contre les fermetures de programmes, ainsi qu’un engagement en faveur de la liberté académique, afin de garantir l’absence d’ingérence politique dans la recherche et l’enseignement dans les établissements d’enseignement supérieur.

Le BFA augmentera le financement de la recherche et accordera la priorité à la science fondamentale dans toutes les disciplines. Les niveaux de financement seront augmentés jusqu’à ce qu’un taux de réussite minimal de 60 % soit atteint pour tous les concours de financement fédéraux. Le nombre et la valeur des subventions accordées seront également augmentés.

Le BFA allouera 50 millions de dollars en 2025, puis 5 millions de dollars par année, pour améliorer la collecte de données sur l’éducation postsecondaire. Le gouvernement fédéral promet depuis longtemps d’élargir le Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges afin d’y inclure le personnel enseignant contractuel et à temps partiel, ainsi que diverses données démographiques autres que le sexe. Un projet pilote a été achevé l’année dernière et un financement est nécessaire pour mettre ce système en œuvre et garantir une image précise du personnel académique. Le financement accordé au Conseil des statistiques canadiennes de l’éducation et au Forum canadien sur l’apprentissage permettrait également de constituer une base de données plus robuste et harmonisée afin de combler les lacunes en matière de données sur les étudiants et les apprentis, notamment en ce qui concerne le suivi des frais de scolarité des établissements d’enseignement supérieur, les parcours d’apprentissage, les résultats d’apprentissage en milieu de travail et les placements d’apprentis.

Le BFA doublera le financement du Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire et du Programme préparatoire à l’entrée au collège et à l’université afin de contribuer à réduire l’écart de réussite scolaire entre les étudiants autochtones et non autochtones et de respecter les obligations en matière de droits ancestraux et issus de traités. Il investira également dans des programmes équivalents pour les étudiants métis et inuits.

Le BFA allouera 200 millions de dollars par année pendant cinq ans pour soutenir une stratégie en matière d’apprentissage. Il augmentera le financement, resserrera les critères d’accès pour les employeurs, améliorera la transférabilité de la formation et le financement des aides globales à l’apprentissage, éventuellement en élargissant le rôle d’ApprenticeSearch.