Introduction
Après des décennies de négligence institutionnelle, les anciens combattants d’aujourd’hui se retrouvent avec une multitude d’avantages et de solutions qui ne répondent que rarement à leurs besoins, malgré des appels répétés en faveur d’une réforme.
Aujourd’hui encore, des vétérans qui ont été affectés par des blessures ou des maladies similaires dans le cadre de leur service sont indemnisés différemment selon l’endroit et le moment où ils ont servi. Le système actuel ne répond toujours pas aux besoins des vétérans appartenant à des groupes en quête d’équité (femmes et personnes de diverses identités de genre, personnes 2ELGBTQ+, personnes racisées, Autochtones, francophones, etc.). Il ne fait rien non plus face au nombre disproportionné de vétérans itinérants.
Les membres des familles des vétérans continuent d’être confrontés à des problèmes de santé mentale liés aux affectations fréquentes, aux longues et multiples absences et aux risques inhérents au service militaire. Il y a quatre ans maintenant que le Bureau de l’ombudsman des vétérans demande que des investissements réalisés afin que les membres des familles des vétérans des Forces armées canadiennes puissent bénéficier de plein droit d’une couverture pour les soins de santé mentale1Bureau de l’ombudsman des vétérans, Pleins feux 2024, Gouvernement du Canada, 24 avril 2025, https://www.ombudsman-veterans.gc.ca/fr/publications/bulletins/Plein_feux_2024..
Maintenant que la défense nationale fait l’objet d’une attention accrue et que ses budgets sont augmentés, il est temps d’adopter une approche plus globale et de rappeler que tous les militaires en service actif finissent par devenir des vétérans. On ne peut pas financer une partie de leur vie et les laisser ensuite dépérir.
Vue d’ensemble
Une enquête attendue depuis longtemps sur les programmes et les services destinés aux anciens combattants
La dernière fois que le gouvernement fédéral a procédé à un examen indépendant complet des avantages et des services qui sont destinés aux anciens combattants, c’était dans les années 1960. Les programmes et services d’Anciens Combattants Canada (ACC) qui assurent des soins et un soutien aux anciens combattants malades et blessés et ainsi qu’à leurs familles sont encore basés sur des programmes qui ont été élaborés pour répondre aux besoins des anciens combattants vieillissants de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée. En 2023, ces anciens combattants n’étaient plus que 4 162 sur les plus de 194 098 clients d’ACC.
La nouvelle Charte des anciens combattants de 2006 a donné lieu à des dizaines de changements législatifs, à la création de nouveaux avantages et à des « améliorations » aux programmes et services destinés aux vétérans. Au lieu de répondre aux besoins des anciens combattants de manière directe, ces nouvelles couches successives de règlements, de politiques et de critères d’admissibilité ont créé des duplications, des complexités, de la confusion, de la frustration et un sentiment chez les vétérans d’être trahis par l’institution.
Le Bureau de l’ombudsman des vétérans2Bureau de l’ombudsman des vétérans, Indemnisation des vétérans canadiens : Une analyse comparative des régimes d’avantages, 2020, https://ombudsman-veterans.gc.ca/fr/publications/revues-systemiques/indemnisation-analyse. a appelé à un dialogue national afin de définir une vision et des résultats clairs pour les anciens combattants du Canada et leurs familles. Il est temps de mener une enquête indépendante afin de garantir que les besoins des vétérans malades et blessés, de leurs familles et de la communauté élargie et diversifiée des anciens combattants soient adéquatement satisfaits.
Des soins médicaux qui répondent réellement aux besoins des anciens combattants et de leurs familles
La transition vers le système médical « civil » pose toujours problème. Les vétérans ont besoin d’avoir accès à des médecins et à des professionnels de la santé qui sont formés pour les soigner—et qui comprennent les traumatismes sexuels subis dans le cadre du service militaire, les traumatismes liés au stress opérationnel, les douleurs chroniques, le syndrome de stress post-traumatique et les souffrances morales, entre autres.
Pour être les plus efficaces possibles, ces types de soins peuvent nécessiter d’être dispensés en personne. Le budget de 2024 prévoyait 9,3 millions de dollars sur cinq ans pour financer la télémédecine destinée aux anciens combattants et à leurs familles, mais l’efficacité de cette méthode reste questionnable. Des vétérans ayant eu recours à la télémédecine3Deanna L. Walker, M.S. Nouri, R.A. Plouffe, J.J. W. Liu, T. Le, C.A. Forchuk, D. Garlaga, K. St-Cyr, A. Nazarov et J.D. Richardson, « Telehealth experiences in Canadian veterans: associations, strengths and barriers to care during the COVID-19 pandemic », BMJ Military Health, 12 mai 2023, https://militaryhealth.bmj.com/content/early/2023/05/11/military-2022-002249. se sont sentis bousculés, ont exprimé des préoccupations quant au manque d’intimité à leur domicile, ont eu du mal à se concentrer, ont fait face à de longs temps d’attente, n’ont bénéficié que d’aménagements limités pour pallier leurs déficiences auditives et visuelles, et ont été confrontés à des problèmes de communication ayant conduit à des erreurs. En général, le traitement par télémédecine est moins efficace pour les problèmes de toxicomanie, les douleurs chroniques et les problèmes de santé spécifiques aux femmes.
L’itinérance chez les vétérans
Les vétérans sont deux à trois fois plus susceptibles de se retrouver en situation d’itinérance que le reste de la population. On estime que le nombre de vétérans sans domicile fixe au Canada se situe entre 2 400 et plus de 10 0004Taylor Chase, Alison Clement, Sandrine Desforges et Anmol Gupta, Addressing Veteran Homelessness in Canada, École Max Bell de politiques publiques, Université McGill, juillet 2023, https://www.mcgill.ca/maxbellschool/files/maxbellschool/ofha_veteran_homelessness_policy_brief_-_2023.pdf..
Les femmes représentent 30 % des vétérans itinérants5L’itinérance comprend ici les personnes qui résident dans des refuges d’urgence, des logements provisoires ou des situations de logement dangereuses.. Elles sont plus susceptibles d’avoir des personnes à charge, d’avoir subi des violences de la part d’un partenaire intime et d’avoir vécu des traumatismes sexuels dans le cadre de leur service militaire6Michael Short, Stephanie Felder, Lisa Veteran Baird et Brenda Gamble, « Female veterans’ risk factors for homelessness: Veterans review », Journal of Military, Veteran and Family Health, 2023.. Les services actuellement proposés par ACC et les refuges municipaux pour itinérants s’adressent aux hommes vétérans et ne répondent pas nécessairement aux besoins des femmes et des personnes de diverses identités de genre. Les femmes aux intersectionnalités multiples (racisées, autochtones, 2ELGBT+, handicapées, etc.) sont davantage à risque.
Il faut donc investir pour combler ces lacunes. Ces investissements doivent être axés sur la prévention, car on sait que de nombreux cas de précarité du logement et d’itinérance ont été précédés par des moments charnières et auraient pu être évités si l’aide ou les soutiens nécessaires avaient été disponibles à ce moment-là.
Des arriérés à gérer
Les problèmes identifiés jusqu’à présent ont été aggravés par la réticence des gouvernements précédents à financer correctement le personnel nécessaire pour traiter les arriérés, réduire les temps d’attente et alléger la charge de travail des gestionnaires de cas. ACC n’atteint toujours pas la plupart de ses objectifs en matière de services. Les décisions prennent souvent beaucoup plus de temps que prévu et les temps d’attente pour une décision dans un dossier de prestations d’invalidité sont la principale source des plaintes reçues par le Bureau de l’ombudsman des vétérans.
Le ratio vétérans/gestionnaires de cas atteint 31:1 et certains gestionnaires de cas ont jusqu’à 50 vétérans à leur charge. De nombreux gestionnaires de cas manquent également de formation, certains vétérans faisant état d’un manque d’homogénéité dans les connaissances d’un gestionnaire à l’autre.
Des investissements en ressources humaines sont nécessaires pour faire en sorte que les problèmes soient traités dans un délai raisonnable.
Un recours moindre à la privatisation
Cela fait maintenant plusieurs années qu’ACC a conclu un contrat d’une valeur de 560 millions de dollars pour une durée initiale de cinq ans et demi avec Partenaires des services de réadaptation aux vétérans canadiens (PSRVC), un partenariat privé entre Lifemark Health Group (qui appartient à Loblaw Companies Limited) et WCG International. Ce contrat a pour objet l’administration du programme de réadaptation d’ACC (auparavant administré par Croix Bleue Medavie).
Le Syndicat des employé-e-s des Anciens combattants (SEAC) a dénoncé l’absence de consultation et d’information sur cette décision, et il craint que le contrat ne permette pas d’offrir des services de qualité aux vétérans7Emmanuel Dubourg, Nouveau contrat pour l’administration du programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada, Rapport du Comité permanent des anciens combattants, juin 2023, https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/441/ACVA/Reports/RP12515046/acvarp11/acvarp11-f.pdf.. Il a également estimé que le contrat coûterait 25 % de plus que si la prestation des mêmes services était effectuée par la fonction publique.
Des organismes de soutien aux vétérans, comme le Comité consultatif du ministre sur l’excellence des services, estime qu’ils n’ont pas été suffisamment consultés8Ibid.. Les vétérans ont aussi critiqué cette décision. L’un d’entre eux a déclaré au Ottawa Citizen que la privatisation a donné lieu à des expériences traumatisantes : « On ne m’a pas vraiment traité comme un vétéran ou un client, plutôt comme quelqu’un qu’on fait entrer, qu’on fait payer et qu’on pousse vers la sortie »9Catherine Morrison, « Unions and veterans decry privatization of rehabilitation services », Ottawa Citizen, mars 2023, https://ottawacitizen.com/news/local-news/unions-and-veterans-decry-privatization-of-rehabilitation-services..
Des prestataires de soins de santé se sont également montrés critiques à l’égard de cette entente, publiant une lettre ouverte dans laquelle ils soulèvent de nombreux points d’inquiétude, notamment le fait que Lifemark n’a pas pris en compte la nature complexe de la clientèle et n’a pas mentionné les traumatismes ou le syndrome de stress post-traumatique dans la documentation envoyée à ses fournisseurs de services10Lee Berthiaume, « Rehab contract sparks new fight between veterans and the Liberal Government », La Presse canadienne, 12 février 2023, https://www.thecanadianpressnews.ca/health/rehab-contract-sparks-fresh-battle-between-veterans-and-the-liberal-government/article_afccf23a-c02b-5f51-a1b2-595155408ecc.html..
Une étude du Comité permanent des anciens combattants11Emmanuel Dubourg, Nouveau contrat pour l’administration du programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada, Rapport du Comité permanent des anciens combattants, juin 2023. a mis en évidence plusieurs problèmes liés au nouveau programme de réadaptation : un risque de désengagement des professionnels ayant une longue expérience du travail avec les vétérans, un manque de surveillance (le PSRVC est responsable d’évaluer son propre rendement) et un manque de renseignements fournis aux gestionnaires de cas, aux vétérans et aux fournisseurs de services.
En résumé, ce contrat offre un service de qualité inférieure à celui que pourrait offrir une administration publique expérimentée, et ce, à un coût plus élevé. Il est temps de mettre un terme à cela.
Un traitement équitable pour les femmes vétérans
L’invisibilité du sexe et du genre au sein des systèmes de l’armée et des anciens combattants, y compris dans le domaine des soins de santé, a engendré un certain nombre de problèmes pour les femmes membres des forces armées et les vétéranes. Ces problèmes comprennent notamment des préjugés systémiques, des lacunes dans la recherche et des taux accrus de blessures et de maladies, ce qui se traduit par un nombre inutilement élevé de libérations pour raisons médicales chez les femmes. Jusqu’à 47 % des libérations de l’armée chez les femmes ont un motif d’ordre médical12Ibid., le principal étant une blessure musculosquelettique.
Cette invisibilité crée également des obstacles à l’accès des vétéranes13Le BFA reconnaît que le terme « femmes » inclut l’intersectionnalité des personnes autochtones, 2ELGBTQ+ et racisées. aux prestations et aux programmes d’ACC, comme l’a documenté un rapport du Comité permanent des anciens combattants publié en 202414Emmanuel Dubourg, Plus jamais invisibles. Les expériences des vétéranes canadiennes, Rapport du Comité permanent des anciens combattants, juin 2024, https://www.noscommunes.ca/Content/Committee/441/ACVA/Reports/RP13177333/acvarp15/acvarp15-f.pdf.. Ce rapport identifie plusieurs secteurs où il serait possible d’améliorer la situation des vétéranes, notamment la recherche, la réponse aux besoins médicaux et sanitaires spécifiques, la reconnaissance-commémoration, et l’élimination des obstacles aux services et au soutien.
Pour analyser et évaluer pleinement l’impact de ses programmes sur le genre et la diversité, et pour garantir des résultats et des changements équitables15Maya Eichler, « Equity in Military and Veteran Health Research: Why It Is Essential to Integrate a Sex and Gender Lens », Journal of Military, Veteran and Family Health, 2021., il faut appliquer de manière cohérente et transparente les objectifs des lignes directrices sur l’équité en matière de sexe et de genre dans le domaine de la recherche (Sex and Gender Equity in Research Guidelines, ou SAGER), de l’Analyse comparative fondée sur le sexe et le genre (ACSG) et de l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) au sein d’Anciens Combattants Canada, des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale.
Les effets spécifiques du service militaire sur la santé physique et mentale et le bien-être des vétéranes doivent être reconnus et pris en compte au sein des Forces armées canadiennes (FAC) ainsi que par les services d’indemnisation et de soutien d’ACC. À titre d’exemple, ACC s’est engagé à mettre à jour ses outils et ses lignes directrices pour l’évaluation des prestations d’invalidité et à appliquer l’approche fondée sur l’ACS+. Bien qu’une partie du travail ait été réalisée, la mise en œuvre de cette initiative reste toutefois en suspens. Le rôle que jouera l’ACSG dans cette mise à jour n’est pas clair non plus à l’heure actuelle, bien que le rapport interne produit par Barbara Clow en 2019 et intitulé SGBA and Disability Benefits (ACSG et prestations d’invalidité) contient un certain nombre de conclusions et de recommandations.
Mesures
Le BFA lancera une enquête indépendante afin de s’assurer que tous les vétérans, leurs proches, leurs aidants et leurs survivants reçoivent les soins, les avantages et le soutien dont ils ont besoin, au moment et à l’endroit où ils en ont besoin. Cette enquête débouchera sur un rapport contenant des recommandations concrètes et mesurables.
Le BFA procédera à l’inscription de tous les anciens combattants non inscrits. ACC a adopté une approche limitée et réactive de la prestation de services qui répond uniquement aux vétérans qui recherchent activement ces services. L’inscription de tous les anciens combattants auprès d’ACC permettrait de mieux comprendre la population des vétérans, de favoriser une approche proactive et de faciliter la conception d’avantages ciblés16Ibid..
Le BFA veillera à ce que les aidants et les membres de la famille, y compris les conjoints, ex-conjoints, survivants et enfants à charge, aient accès de plein droit, indépendamment du plan de traitement de l’ancien combattant, à un traitement en santé mentale lorsque leurs problèmes sont liés aux conditions du service militaire.
Le BFA fournira des fonds pour des médecins de santé professionnelle (en particulier pour les vétérans qui n’ont pas de médecin de famille) et pour les médecins civils qui acceptent des patients vétérans. Il leur accordera un accès sans entrave aux ressources éducatives et à la formation sur les traumatismes sexuels subis dans le cadre du service militaire, les traumatismes liés au stress opérationnel, la douleur chronique, le syndrome de stress post-traumatique, la toxicomanie, la documentation d’ACC, l’exposition aux risques professionnels et les autres domaines pertinents.
Le BFA financera des séances de formation approfondie en présentiel obligatoires pour l’ensemble du personnel d’ACC, afin de les sensibiliser aux les meilleures pratiques à adopter face aux traumatismes et aux problématiques découlant de la violence.
Le BFA ne renouvellera pas le contrat privé avec Partenaires des services de réadaptation aux vétérans canadiens. À compter du 30 juin 2027, il confiera l’administration du programme de réadaptation d’Anciens Combattants à la fonction publique.
Le BFA améliorera le financement afin d’augmenter le nombre d’employés nommés pour une durée indéterminée et de gestionnaires de cas. Il se penchera sur la question de la localisation du personnel (un grand nombre d’entre eux travaillent actuellement à partir de l’Île-du-Prince-Édouard) et sur la possibilité d’une décentralisation.
Le BFA fournira un financement pour consolider et améliorer les programmes de transition existants des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada (y compris les programmes ciblant les facteurs de risque de l’itinérance). Ces fonds permettront d’augmenter le nombre de gestionnaires de cas, de collecter de données sur les facteurs de risque, et de proposer des services de counseling prélibératoire ainsi qu’un programme de transition qui comprend des services de reconversion professionnelle, de réintégration dans la collectivité et de littératie en matière de santé mentale.
Le BFA financera et mettra en œuvre un programme de recherche à long terme sur les femmes militaires et les vétéranes, ainsi qu’une recherche spécifique et multiministérielle sur les femmes incluant les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada.
Le BFA accélérera la mise à jour des Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension et de la Table des invalidités en ce qui concerne les conditions médicales affectant les femmes. Il appliquera également un processus SAGER, ACSG et ACS+ transparent afin de remédier aux préjugés liés au genre et aux lacunes qui empêchent l’équité des données dans le domaine de la recherche.
Le BFA intégrera les organismes d’aide aux vétérans aux systèmes d’information sur la gestion des personnes en situation d’itinérance afin de mieux recenser les vétérans itinérants et de leur fournir des services.
Le BFA mettra en place un programme de certificats de logement qui versera un supplément de loyer individualisé aux vétérans itinérants.
Le BFA demandera à la Société canadienne d’hypothèques et de logement de dédier aux anciens combattants une part des fonds de la Stratégie nationale sur le logement afin de financer des projets de logements et de leur fournir un capital sous la forme de prêt à faible taux d’intérêt ou de prêt-subvention (voir le chapitre Logement abordable et itinérance). Il s’agira notamment de logements accessibles réservés aux femmes et de logements comprenant un soutien pour les personnes dépendantes et les animaux d’assistance.


