Introduction
Il y a équité en santé lorsque chacun a accès de manière équitable à un état de santé optimal et dispose de la capacité et des moyens d’agir en ce sens. La santé ne se limite pas à l’absence de maladie : c’est un concept holistique qui englobe le bien-être physique, mental et social1Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, Glossaire des principaux concepts liés à l’équité en santé, St. Francis Xavier University, 2022..
Pour beaucoup, le mot « santé » renvoie à l’accès aux soins médicaux. Cet aspect est important, mais il n’est pas le seul. En réalité, la maladie est davantage influencée par les conditions de vie et de travail, ainsi que par les facteurs économiques, politiques, culturels et sociaux qui les façonnent. Les inégalités en santé sont le résultat « des effets conjugués de politiques et de programmes sociaux insuffisants, de modalités économiques injustes et de stratégies politiques mal pensées »2Commission des déterminants sociaux de la santé, Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, Organisation mondiale de la santé, 2008.. En raison de l’oppression systémique, ces inégalités touchent de manière disproportionnée certaines populations, notamment les Noirs, les Autochtones et d’autres personnes racisées.
S’appuyant sur certains des engagements historiques du Canada en faveur de l’égalité, incarnés par une politique redistributive et un secteur public fort3Lars Osberg, From Keynesian consensus to neo-liberalism to the Green New Deal: 75 years of income inequality in Canada, Centre canadien de politiques alternatives, mars 2021., ce chapitre expose la vision du BFA en matière d’équité sociale et de santé. Nous y regroupons les politiques axées sur l’équité et menées par le secteur public qui sont abordées dans d’autres chapitres du BFA, comme la politique de logement qui mise sur l’abordabilité, la politique d’immigration qui garantit l’égalité des droits et l’accès à des emplois sûrs, ou encore la politique climatique qui mise sur une transition équitable. Ce sont là autant d’exemples d’une économie et d’un gouvernement qui donnent la priorité à la santé et au bien-être de toutes les personnes et de la planète.
Vue d’ensemble
La réalisation de l’équité en santé nécessite un engagement interministériel cohérent. Il est essentiel que cette démarche s’inscrive dans une perspective critique mettant l’accent sur les inégalités de pouvoir, qui sont à l’origine des inégalités en santé. Ces inégalités sont profondément ancrées dans le système économique et politique du capitalisme néolibéral, dans ses fondements idéologiques et dans les politiques et les pratiques qu’il soutient à travers les différents services et ministères du gouvernement. Un paradigme alternatif est l’économie du bien-être, « une économie au service de la vie »4Alliance pour une économie du bien-être, https://weall.org..
La notion d’économie du bien-être repose sur le principe directeur selon lequel les personnes et la planète priment sur le profit. Le précédent gouvernement fédéral s’est engagé dans cette voie en introduisant un Cadre de qualité de vie pour le Canada dans le budget de 20215Gouvernement du Canada, Budget 2021, Annexe 4 : Énoncé sur l’égalité des genres, la diversité et la qualité de vie, 19 avril 2021 (archivé).. Ce cadre s’inscrit explicitement dans une perspective qui va « au-delà du PIB » et repose sur cinq domaines liés au bien-être (prospérité, santé, environnement, société et saine gouvernance) ainsi que sur deux perspectives transversales (équité et inclusion, et durabilité et résilience) qui ont été élaborés à l’issue d’une vaste consultation. À ce jour, les mesures mises en œuvre comprennent le leadership de Statistique Canada en matière de rapports sur les mesures6Ministère des Finances du Canada, Mesurer ce qui importe : Vers une stratégie sur la qualité de vie pour le Canada, 19 avril 2021. et l’impact budgétaire, qui décrivent les principaux domaines de la qualité de la vie que chaque mesure budgétaire est censée faire progresser7Gouvernement du Canada, Rapport sur les répercussions du budget de 2024, https://budget.canada.ca/2024/report-rapport/gdql-egdqv-2-fr.html.. Le cadre pourrait offrir une vision globale de l’équité en matière de santé8Lindsay McLaren, « A quality of life strategy for Canada could be life changing », Think Upstream, 14 mai 2021, https://www.policyalternatives.ca/news-research/a-quality-of-life-strategy-for-canada-could-be-life-changing/., mais des travaux supplémentaires sont nécessaires pour garantir que cette vision soit prise en compte dans le processus décisionnel gouvernemental.
En mai 2025, le gouvernement a créé un comité ministériel sur la qualité de vie et le bien-être, ce qui témoigne de sa volonté de poursuivre les travaux antérieurs9Premier ministre du Canada, Mandat et composition des comités du Cabinet, 13 mai 2025, https://www.pm.gc.ca/fr/mandat-et-composition-des-comites-du-cabinet.. Cette initiative s’ajoute à la décision d’adresser une lettre de mandat unique à tous les ministres, marquant ainsi une volonté de mener une mission pangouvernementale « unifiée »10Premier ministre du Canada, Lettre de mandat, 21 mai 2025, https://www.pm.gc.ca/fr/lettres-de-mandat/2025/05/21/lettre-de-mandat.. Ce comité est l’occasion d’articuler la manière dont l’activité gouvernementale dans cet espace pourrait être élargie et mise au service d’une vision audacieuse de l’équité sociale et de l’équité en santé.
Mesures
1. Développer la structure, le mandat, l’autorité et le leadership politique nécessaires à la transition vers une économie du bien-être
Le BFA créera un Collectif sur l’économie du bien-être qui inclut le nouveau comité du Cabinet sur la qualité de vie et le bien-être. Le mandat de ce nouveau comité du Cabinet sera modifié afin de prévoir qu’il « fournit un leadership politique pour favoriser l’engagement, la visibilité, la mise en œuvre et la responsabilité envers l’économie du bien-être, y compris son incarnation dans une politique publique audacieuse, cohérente, pangouvernementale, axée sur le public et centrée sur l’équité ». Ce mandat prévoira l’application de mécanismes politiques, tels que la propriété, la réglementation et les paiements de transfert conditionnels dans tous les secteurs qui servent l’intérêt public et qui sont compatibles avec l’équité sociale et l’équité en santé. Il prévoira également une communication régulière, large et visible avec le public. Budget alloué : 2 millions de dollars par année pendant trois ans.
Le BFA ajoutera le ministre des Finances à la composition du nouveau comité du Cabinet. Le fait que le ministre des Finances ait été omis par le passé laissait entendre que les travaux du comité se déroulaient en marge du gouvernement, ce qui est contraire à son nouveau mandat renforcé, qui consiste à fournir une direction politique pour élaborer une vision centrée sur le bien-être de tous et de la planète. Le ministre des Finances partagera la direction du comité avec les deux dirigeants nommés (l’actuelle et l’ancien ministres de l’Environnement et du Changement climatique). Les travaux sur la qualité de vie au Canada ont commencé sous l’égide du ministère des Finances en 2021; l’inclusion de ce ministère au sein du nouveau comité du Cabinet permettra de raviver et de renforcer son leadership et donnera du mordant au comité. La ministre de la Santé, qui est déjà membre du comité du Cabinet, sera chargée d’identifier les implications pour les services de santé et les mécanismes de mise en œuvre, comme le Transfert canadien en matière de santé). Budget alloué : 0 $, déjà prévu dans les budgets existants.
Le BFA élargira considérablement le champ d’action et les pouvoirs des activités axées sur l’économie du bien-être. S’inspirant de la loi sur le bien-être des générations futures du gouvernement Welsh du Pays de Galles, le BFA créera une nouvelle Loi fédérale sur la qualité de la vie. Cette loi imposera un objectif commun juridiquement contraignant au gouvernement fédéral ainsi qu’aux gouvernements provinciaux et territoriaux en recourant à des mécanismes nouveaux et existants. Elle définira les responsabilités et obligations principales de chaque acteur du Collectif sur l’économie du bien-être, ainsi que les obligations de rendre compte entre les différents gouvernements. La Loi créera également un nouveau poste de commissaire à la qualité de vie, au sein du Bureau du vérificateur général, qui assurera le leadership politique de la collaboration. Le commissaire jouera un rôle à la fois de chien de garde et de promoteur pour conseiller et soutenir les gouvernements et les organismes publics dans l’adoption d’une vision à long terme, axée sur l’équité et cohérente avec les décisions politiques. Au Pays de Galles, cette action a permis de faire progresser la politique sociale et environnementale axée sur l’équité11Stan Houston, Lindsay McLaren et Rebecca Graff-McRae, « A well-being economy in practice: Spotlight on Wales and Nanaimo », CCPA Monitor, 3 janvier 2024.. Reposant sur une volonté de communication et d’engagement publics larges en faveur d’une vision axée sur l’équité, le mandat du commissaire comprendra la publication de rapports annuels et de bulletins d’information réguliers, l’organisation d’assemblées générales dans tout le pays, ainsi que la possibilité de prendre la parole lors d’événements publics et à but non lucratif. Budget alloué : 9 millions de dollars par année pendant trois ans.
Le BFA créera un nouveau Comité permanent du Sénat sur la qualité de vie et le bien-être, dans le cadre du Collectif sur l’économie du bien-être et sous le leadership politique du commissaire à la qualité de vie. Ce comité examinera minutieusement les projets de loi et les propositions de dépenses afin de s’assurer qu’ils sont conformes à la vision d’une économie du bien-être. Il jouera donc un rôle clé en veillant à ce que les politiques publiques, y compris les dépenses, soient audacieuses, cohérentes, pangouvernementales, axées sur le public et sur l’équité. Budget alloué : 5 millions de dollars par année pendant trois ans.
Le BFA créera des mécanismes spécifiques pour garantir que le travail du Collectif sur l’économie du bien-être intègre une position antiraciste et anti-oppression délibérée, substantielle et cohérente. Cette démarche est essentielle pour garantir que les inégalités de pouvoir, qui sont à l’origine des inégalités en santé et qui sont généralement occultées, soient mises en lumière et prises en compte. Pour ce faire, le BFA aidera les principales organisations de santé publique à constituer des comités consultatifs d’experts sur l’équité, qui aideront le Collectif à concevoir et à mettre en œuvre une politique cohérente, axée sur l’équité. Ces comités seront composés : 1) des communautés les plus touchées par les inégalités de santé découlant des politiques économiques et sociales néolibérales, notamment les Noirs, les Autochtones et les autres personnes racisées, les personnes 2ELGBTQ+, les travailleurs migrants et d’autres; et 2) de chercheurs et universitaires à l’esprit critique, impliqués dans l’élaboration et la promotion d’une économie politique alternative axée sur l’équité. Ce travail s’appuiera sur l’expérience antérieure du secteur de la santé publique en matière de politique intersectorielle de santé12Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé, Santé dans toutes les politiques, https://ccnpps-ncchpp.ca/fr/sante-dans-toutes-les-politiques/. et s’effectuera dans une perspective d’économie du bien-être13Lindsay McLaren, Budgétisation bien-être : une perspective critique en santé publique, Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé, 2022, https://ccnpps-ncchpp.ca/docs/2022-Budgetisation-bien-etre-une-perspective-critique-en-sante-publique.pdf., tout en offrant la possibilité de renforcer l’accent mis sur l’équité dans ce travail, qui a été limité jusqu’à présent14Lindsay McLaren et Temitayo Famuyide, « What can we learn from Québec’s Health in All Policies approach », Think Upstream, Centre canadien de politiques alternatives, 15 février 2023.. Budget alloué : 5 millions de dollars par année pendant trois ans.
2. Investir substantiellement dans la recherche, l’évaluation et l’élaboration de politiques
Pour soutenir davantage le travail du Collectif sur l’économie du bien-être, le BFA investira de manière significative dans la recherche, l’évaluation et l’élaboration de politiques de haute qualité, axées sur l’équité et cohérentes à l’échelle du gouvernement.
Le BFA créera et financera un Fonds de transition vers une économie du bien-être. Ce fonds sera hébergé par le ministère des Finances et relèvera de l’autorité du Collectif. S’inspirant d’initiatives antérieures15Gouvernement du Canada, Fonds pour l’adaptation des soins de santé primaires : Résumé des initiatives, https://ouvert.canada.ca/data/fr/info/9da6098a-65c1-44be-9ade-3ce3a3cc6179., ce fonds soutiendra l’élaboration de politiques par les groupes de parties prenantes en vue d’une transition vers une économie du bien-être axée sur l’équité, en se concentrant sur le renforcement de la coordination et l’amélioration de la cohérence des politiques. Budget alloué : 20 millions de dollars par année pendant trois ans.
En s’appuyant sur la nouvelle organisation-cadre de financement de la recherche (annoncée dans le budget 2024), le BFA consacrera des fonds spécifiquement à la recherche axée sur l’équité en amont, pour laquelle il existe un précédent16Instituts de recherche en santé du Canada, Possibilité de financement à venir : Agir en amont : subventions Catalyseur sur les déterminants structurels de la santé (archivé), https://cihr-irsc.gc.ca/f/53883.html., afin d’éclairer la mission globale d’une transition vers une économie du bien-être axée sur l’équité17Sandra Lapointe, « ’Mission-driven’ is not a bad word », Affaires universitaires, 29 mai 2025.. Des travaux intégrant de manière substantielle une telle orientation critique sont impératifs pour lutter efficacement contre les inégalités de pouvoir qui entravent les changements transformateurs. Budget alloué : 15 millions de dollars par année pendant trois ans.
3. Renforcer et accroître la visibilité des rapports sur l’équité en santé
Le BFA investira davantage dans un processus continu de collecte, d’interprétation, de communication et d’utilisation de données élargies sur l’équité en santé. Le manque de données ventilées selon des axes sociaux tels que la race, le sexe, le genre ou l’emploi est apparu très clairement lors de la pandémie de COVID-19 et il est essentiel de renforcer et de pérenniser le processus18Emily Thompson, Rojiemiahd Edjoc, Nicole Atchessi et al., « COVID-19 : Un argument en faveur de la collecte de données sur les populations racialisées au Canada et à l’étranger », Relevé des maladies transmissibles au Canada, juillet/août 2021..
Dans les budgets fédéraux précédents, des fonds ont été alloués à Statistique Canada pour développer un Carrefour de la qualité de vie, qui rassemble des données pour 91 indicateurs répartis dans les cinq domaines du Cadre de la qualité de vie pour le Canada, ainsi que pour trois indicateurs centraux : la satisfaction à l’égard de la vie, le sentiment de sens et de but dans la vie, et la vision de l’avenir19Statistique Canada, Carrefour de la qualité de vie, https://www160.statcan.gc.ca/index-fra.htm.. Le BFA poursuivra et élargira ce travail, afin : 1) de renforcer la capacité à présenter des données désagrégées pour évaluer les inégalités en fonction de la race, du sexe et d’autres axes sociaux; et 2) d’établir des liens directs avec les leviers politiques axés sur l’équité. Sous l’autorité du Collectif sur l’économie du bien-être et avec les conseils avisés des comités consultatifs d’experts sur l’équité, ce travail complétera la pratique existante de production de rapports d’impact budgétaire sur la qualité de vie20Gouvernement du Canada, Rapport sur les répercussions du budget de 2024, https://budget.canada.ca/2024/report-rapport/gdql-egdqv-2-fr.html. en identifiant les politiques qui amélioreraient chaque indicateur, contribuant ainsi à l’objectif initial (2021) d’approfondir l’intégration du cadre dans l’élaboration des politiques. Le BFA financera également les efforts déployés par Statistique Canada, en collaboration avec le Collectif sur l’économie du bien-être, pour accroître considérablement la visibilité de ce travail, afin qu’il soit aussi bien compris par le grand public que les informations économiques traditionnelles telles que les taux d’intérêt ou les tendances du marché. Budget alloué : 4 millions de dollars par année pendant trois ans.
Le BFA financera et coordonnera une approche systématique de la collecte, de la communication et de l’utilisation des données sur l’équité en santé à l’échelle du Canada. Cela comprendra l’élaboration et la mise en œuvre d’un tableau de bord de l’équité en santé afin d’assurer une meilleure communication publique à grande échelle et une plus grande visibilité. Sous l’autorité du Collectif sur l’économie du bien-être, et sur la base de l’énoncé de consensus de l’Institut Wellesley relatif aux données sur la race et la santé21Institut Wellesley, Consensus Statement on Race-Based Data for Health, 18 mars 2025, https://www.wellesleyinstitute.com/consensus-statement-on-the-collection-use-and-governance-of-race-based-data-for-health/., le BFA financera les efforts déployés par les organisations et les gouvernements, y compris les systèmes de soins de santé et de santé publique, pour créer ou renforcer la capacité de collecte, d’interprétation, de communication et d’utilisation des données de santé ventilées par race, par sexe, par handicap, etc. Bien qu’il existe des initiatives importantes (par exemple, la Nouvelle-Écosse recueille des données sur la race et la langue dans le cadre du processus de modernisation de son système de santé22Gouvernement de Nouvelle-Écosse, News release: Fair Care Project improves data collection to offer better care, 25 octobre 2022, https://news.novascotia.ca/en/2022/10/25/fair-care-project-improves-data-collection-offer-better-care.), celles-ci sont loin d’être exhaustives. Le BFA aidera également le gouvernement fédéral à montrer l’exemple en créant un Bureau de l’équité en santé, chargé de guider la collecte, l’interprétation, la communication et l’utilisation des données de santé dans les domaines relevant de sa responsabilité, les réserves des Premières Nations, les services correctionnels, l’armée et les anciens combattants. Tout cela est devenu encore plus urgent dans le contexte de la mise hors service, en février 2024, de l’outil interactif de l’Institut canadien d’information sur la santé sur les inégalités en santé23Institut canadien d’information sur la santé, Tendances des inégalités en santé liées au revenu au Canada, 2015, https://www.cihi.ca/fr/tendances-des-inegalites-en-sante-liees-au-revenu-au-canada.. Budget alloué : 15 millions de dollars par année pendant trois ans.


