Introduction

Le secteur de la fonction publique a pour mission d’apporter le soutien nécessaire pour que la population soit en bonne santé, productive et épanouie. Ce soutien est assuré par les travailleuses et travailleurs de la fonction publique, qui veillent au bon fonctionnement de programmes bien conçus qui offrent des services indispensables aux Canadiennes et aux Canadiens, notamment ceux qui visent à lutter contre les inégalités socioéconomiques et à aider les populations vulnérables. Alors qu’une fonction publique forte est un indicateur clé de la prospérité d’une population, la fonction publique canadienne est fragilisée. Elle est menacée par des suppressions de postes massives, un manque de réglementation en matière de technologies et de systèmes de surveillance, ainsi que par des problèmes persistants de discrimination et d’iniquité en milieu de travail. Face au vieillissement de la population et à l’aggravation des difficultés économiques des familles canadiennes, la fonction publique est plus que jamais nécessaire. Le public canadien mérite des services de qualité, et la fonction publique a besoin d’un soutien fédéral fort pour pouvoir les fournir et relever les défis de notre époque.

Vue d’ensemble

Alors que l’inquiétude économique augmente en raison des tarifs douaniers et des pertes d’emplois, il est important de se rappeler que les emplois du secteur public sont la clé de la prospérité économique1Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), La contribution de la fonction publique à l’économie canadienne, mars 2021, https://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/Fonction_publique_WEB.pdf.. Ce sont des moteurs économiques fiables, qui apportent stabilité et diversification aux communautés dans lesquelles ils sont implantés. Pourtant, depuis les dernières élections, les fonctionnaires et les personnes qui dépendent de leurs services vivent sous la menace de coupes budgétaires majeures. Les ministères ont jusqu’à l’automne 2025 pour identifier des réductions de 15 % de leurs dépenses de fonctionnement et de transfert d’ici 2028-20292Alex Ballingal, « Brace for Layoffs, Budget Watchdog Says, as Carney Government Aims to Slash Spending by $25B », Toronto Star, 20 juin 2025, https://www.thestar.com/politics/federal/brace-for-layoffs-budget-watchdog-says-as-carney-government-aims-to-slash-spending-by-25b/article_ce08c9ef-a3be-430a-a36b-7f38fa22f70d.html. Cela représenterait des coupes de l’ordre de 25 milliards de dollars par année, ce qui aurait un impact dévastateur sur la capacité de la fonction publique à fournir des services. Ces réductions s’ajouteraient à celles déjà mises en œuvre lors du « recentrage des dépenses publiques », qui atteindront 3,4 milliards de dollars par année pour l’exercice 2025-2026, et qui causent déjà d’importantes pertes d’emplois.

La priorité du gouvernement libéral de réduire les dépenses en plafonnant la taille de la fonction publique a été annoncée en même temps que la promesse de mener à bien de grands projets de construction du pays en un temps record. Pour réaliser des coupes aussi profondes, un simple plafonnement ne suffirait pas3David Macdonald, Liberals Will Need to Rethink Their Promised Budget Cuts, Centre canadien de politiques alternatives, 30 juin 2025, https://www.policyalternatives.ca/news-research/liberals-will-need-to-rethink-their-promised-budget-cuts/. : il faudrait supprimer des postes à grande échelle et réduire considérablement les services. De nombreux fonctionnaires se demandent donc comment il est possible d’accomplir autant de travail avec moins de personnel. Sans une fonction publique forte, le gouvernement ne pourra pas atteindre ses objectifs de construction du pays.

Le BFA propose des mesures pour soutenir et renforcer la fonction publique du Canada, afin qu’elle puisse mettre en œuvre efficacement les propositions présentées dans les autres chapitres et faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte. Le BFA donne la priorité à la mise en place d’une fonction publique fédérale forte et bien financée. Qu’il s’agisse d’assurer la sécurité de nos aliments, de nos côtes ou de nos frontières, de préserver nos parcs, de veiller à la sécurité de nos routes, de nos chemins de fer et de notre espace aérien pour les voyageurs, ou encore de fournir des services publics essentiels, la fonction publique fédérale est l’épine dorsale d’un Canada fort et sécuritaire.

Intelligence artificielle, efficacité et productivité

Dans son programme électoral, le premier ministre Mark Carney a promis qu’il s’emploierait sans relâche à trouver des moyens de rendre l’administration plus efficace. Il estime que l’intelligence artificielle (IA) est un outil essentiel pour réaliser ces économies. On compte maintenant trois ministres du Cabinet dont les mandats convergent vers l’efficacité de la fonction publique fédérale4Joël Lightbound, ministre de la Transformation du gouvernement, des Travaux publics et de l’Approvisionnement; Evan Solomon, ministre de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique et ministre responsable de l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario; et Shafqat Ali, président du Conseil du Trésor.. Ajoutons à cela la promesse d’augmenter les dépenses de défense et de sécurité des frontières tout en limitant la taille globale de la fonction publique fédérale, et il devient évident que des coupes substantielles seront nécessaires. Le budget de fonctionnement global du gouvernement fédéral est stable à 130 milliards de dollars par année et il n’augmente pas. Il n’y a pas de croissance que l’on pourrait réduire.

Nous risquons une mise en œuvre précipitée et agressive des nouvelles technologies, sans garde-fous adéquats. La nécessité de recourir à l’intelligence artificielle (IA) pourrait alors s’imposer d’elle-même, car il faudrait pallier les lacunes créées par les coupes budgétaires imposées pour tenir les promesses de dépenses du programme libéral. Voilà la recette d’un désastre annoncé.

La dissolution du Parlement au début de l’année 2025 a sonné le glas du projet de loi C27, Loi sur la mise en œuvre de la Charte du numérique, qui aurait pu devenir le seul texte de loi fédéral encadrant l’intelligence artificielle. Ce texte n’avait pas beaucoup de mordant : il prévoyait des lignes directrices pour les lieux de travail sous réglementation fédérale, mais pas pour la fonction publique fédérale elle-même. Il n’exigeait aucune reddition de comptes, aucune surveillance, aucune consultation ni aucune protection pour les travailleuses et travailleurs concernés. Néanmoins, c’était plus que le néant actuel (voir le chapitre Intelligence artificielle).

Les critiques ne manquent pas pour annoncer les menaces existentielles que fait peser l’IA. Mais même parmi les plus optimistes en matière de technologies, certains font des recommandations sur la manière dont l’IA devrait, ou ne devrait pas, être utilisée. C’est une bonne chose si cela permet de renforcer les capacités humaines et d’améliorer les services publics, mais pas si le but premier est de remplacer des travailleuses et des travailleurs pour réaliser des économies. Or, dans le cas présent, il semble que le gouvernement fédéral fasse le deuxième choix. À une autre époque, alors qu’il cherchait à réduire ses coûts, le gouvernement canadien a mis en place le système de rémunération Phénix, une technologie qui était censée lui permettre de réaliser des économies et de gagner en efficacité. Ce désastre a coûté des milliards de dollars à réparer et a causé des préjudices importants et persistants à des milliers de fonctionnaires5Alliance de la fonction publique du Canada, Coupes au fédéral : surcharge, épuisement et détérioration des conditions de travail, 2 juillet 2025, https://syndicatafpc.ca/coupes-federal-surcharge-epuisement-deterioration.. Les conséquences d’une erreur similaire aujourd’hui pourraient être bien pires, et sans commune mesure.

La fonction publique fédérale a déjà perdu 10 000 emplois cette année et les annonces de licenciements se succèdent sans interruption6Huston, Gabrielle, « Federal public service shrinks for 1st time in a decade: Nearly 10,000 jobs shed over the last year, including more than 6,000 at Canada Revenue Agency », CBC, 23 mai 2025. https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/canada-public-service-size-jobs-cuts-2025-1.6302059.. Cette situation est due au « recentrage des dépenses publiques » et aux réductions connexes initiées dans les budgets 2022 et 2023 par le gouvernement libéral de Justin Trudeau7Ministère des Finances Canada, « Recentrer les dépenses gouvernementales pour obtenir de meilleurs résultats pour la population canadienne », Budget 2023—Un plan canadien : une classe moyenne forte, une économie abordable, un avenir prospère, mars 2023, https://www.budget.canada.ca/2023/report-rapport/chap6-fr.html#:~:text=Recentrer.. Outre les conséquences humaines dévastatrices des nouvelles suppressions de postes et de services, les travailleuses et travailleurs qui restent doivent faire face à une surveillance de plus en plus dystopique en milieu de travail. Et ils sont préoccupées par les robots qui arpentent les couloirs pour vérifier leur présence8Arthur White-Crummey et Estelle Côté-Sroka, « Public Servants Uneasy as Government ‘Spy’ Robot Prowls Federal Offices », CBC News, 20 juin 2024, https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/public-servants-uneasy-as-government-spy-robot-prowls-federal-offices-1.7239711., tout comme par les ministères qui utilisent la « connectivité » pour évaluer s’ils sont adéquatement vissés à leur bureau.

Sous-traitance et réaménagement des effectifs

La sagesse conventionnelle, bien qu’erronée, veut que la fonction publique soit trop lourde. La part des emplois dans la fonction publique, c’est-à-dire la part agrégée de l’administration publique, a légèrement augmenté depuis les années 1990, mais elle reste inférieure à celle des années 1970 et 1980. De plus, la part des dépenses de consommation du gouvernement par rapport au PIB reste dans les normes historiques, malgré le récent pic cyclique lié à la pandémie, qui s’est atténué depuis9Statistique Canada, Les nouvelles conventions visant tous les groupes de négociations de 500 travailleurs ou plus, tableau 14-10-0270-01, https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/1410027001?wbdisable=true; Statistique Canada,Produit intérieur brut, en termes de dépenses, Canada, trimestriel, tableau 36-10-0104-01, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/tv.action?pid=3610010401..

Le manque de personnel dans le secteur public provoque des retards et allonge de plus en plus les délais d’attente, ce qui a un impact négatif sur les populations vulnérables. À titre d’exemple, le sous-financement prolongé de la dotation en personnel a donné lieu à des délais de traitement importants pour les vétérans qui demandent des prestations d’invalidité (voir le chapitre Anciens combattants des Forces armées).

Les suppressions de postes qui mettent fin à des contrats à durée indéterminée déclenchent le processus de réaménagement des effectifs. Ce processus, sur lequel le gouvernement et les agents de négociation se sont mis d’accord, informe les employés concernés que leur poste pourrait être supprimé et leur offre la possibilité de conserver leur emploi ou d’en trouver un autre en dehors du gouvernement, tout en bénéficiant d’un soutien pour la transition. Il ne garantit toutefois pas que les résultats seront équitables, ni que la fonction publique fédérale conservera les talents et le savoir dont elle a besoin pour mener à bien sa mission.

Les réductions des dépenses publiques proposées dans la plateforme électorale libérale mèneront certainement à d’autres réductions de personnel. Lorsque les ministères ont besoin d’augmenter leurs effectifs dans certains domaines, ils se tournent souvent vers la sous-traitance plutôt que vers des solutions internes. Bien que les budgets précédents aient laissé entendre que le gouvernement allait réduire la sous-traitance, en particulier pour ce qui est des services de conseil en gestion, il n’y a pas eu de réinvestissements évidents dans la fonction publique qui auraient pu laisser penser que le travail serait repris à interne. Si le gouvernement procédait à un rapatriement pangouvernemental du travail public confié à contrat, il pourrait réaliser des économies d’environ 25 % tout en améliorant la qualité du travail10Mark Creighton, Jill Giswold et Kaitlyn Vanderwees, Coût financier de la passation de contrats en TI centrés sur les tâches, Bureau du directeur parlementaire du budget, janvier 2025, https://www.pbo-dpb.ca/fr/publications/RP-2425-024-S—fiscal-cost-task-based-it-contracting—cout-financier-passation-contrats-ti-centres-taches..

ACS+ et EDI

Les récents reculs des programmes d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) aux États-Unis et dans le monde suscitent des inquiétudes quant à l’avenir de ces programmes et à la poursuite des objectifs d’équité dans les politiques et les programmes du gouvernement canadien, ainsi que dans sa main-d’œuvre.

Il y a maintenant plus de 25 ans que le gouvernement fédéral publie des rapports sur l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique fédérale11Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada : Exercice financier 2022-2023, https://www.canada.ca/fr/gouvernement/fonctionpublique/mieux-etre-inclusion-diversite-fonction-publique/diversite-equite-matiere-emploi/equite-emploi-rapports-annuel/equite-emploi-fonction-publique-canada-2022-2023.html#ToC5., dans le but de suivre ses progrès vers la constitution d’une fonction publique aussi diversifiée que la population canadienne. Les progrès ont été lents, mais constants. Toutefois, les progrès récents sont menacés par les mesures d’austérité, notamment le réaménagement des effectifs.

De nombreux travailleurs et travailleuses font carrière dans la fonction publique fédérale. Ils occupent d’abord des postes à durée déterminée ou temporaires, puis deviennent éventuellement permanents. Ce sont également les premiers à partir lorsque des coupes sont effectuées dans les effectifs du secteur. En ce qui concerne les postes permanents, les jeunes travailleurs et travailleuses moins expérimentés ont du mal à rivaliser pour décrocher les postes restants après les coupes. Des mesures doivent être prises pour éviter que les progrès réalisés en matière de diversité ne soient réduits à néant par un licenciement disproportionné de cette main-d’œuvre plus jeune et plus diversifiée.

Les objectifs d’équité et d’inclusion doivent rester au premier plan dans les domaines du recrutement, de la rétention et de l’avancement professionnel. Les efforts visant à éliminer les obstacles à la pleine inclusion des travailleurs racisés, autochtones, 2ELGBTQ+, handicapés et autres dans la fonction publique fédérale doivent se poursuivre, indépendamment des plans à court terme du gouvernement en vue de réduire ses effectifs.

L’année 2025 marquera le 30e anniversaire de l’engagement pris par le gouvernement fédéral d’intégrer l’Analyse comparative entre les sexes dans ses politiques et ses pratiques. Cette analyse permet de mettre en évidence les répercussions des politiques, des programmes et des dépenses sur les hommes et les femmes. Elle permet également de garantir que les initiatives fédérales profitent équitablement aux femmes et aux hommes. Mise à jour en 2011 pour prendre en compte l’impact des politiques et des programmes sur un plus grand nombre de domaines de différence, l’Analyse peut être utilisée pour garantir un traitement équitable des genres, des groupes raciaux et des groupes culturels. Toutefois, les premiers projets de loi présentés par le gouvernement fédéral actuel mettent fortement l’accent sur les infrastructures, les dépenses militaires et les projets énergétiques, et ne reflètent pas les mêmes engagements en faveur de l’équité dans les politiques et les dépenses fédérales.

L’équité est au cœur de toutes les recommandations du BFA. Toutes les mesures de soutien à la fonction publique seront examinées à l’aune de l’Analyse comparative entre les sexes Plus (ACS+), en mettant l’accent sur la décolonisation de la fonction publique et en adoptant une approche antiraciste visant à remédier aux inégalités passées et actuelles.

Mesures

Le BFA mettra l’intelligence artificielle à profit sans supprimer d’emplois. Les tâches accomplies feront toujours l’objet d’un examen humain et l’expertise humaine restera essentielle.

Le BFA remplacera le projet de loi C27 par une solution plus solide comprenant une réglementation et une supervision au sein de la fonction publique fédérale (voir le chapitre Intelligence artificielle).

Le BFA mettra un terme aux suppressions d’emplois découlant du plan de « recentrage des dépenses publiques », afin que les Canadiennes et les Canadiens puissent accéder sans délai aux services essentiels dont ils dépendent. Il rapatriera les services actuellement confiés en sous-traitance afin d’assurer une meilleure supervision, d’améliorer leur prestation et de réaliser des économies au sein du gouvernement fédéral.

Le BFA abandonnera le plan de réduction radicale de 15 % des dépenses de fonctionnement et de transfert, qui réduirait considérablement les niveaux de service et limiterait sérieusement la capacité du gouvernement fédéral à entreprendre de nouveaux projets majeurs dans le domaine de la construction de logements et à relancer l’économie canadienne face aux menaces des États-Unis.

Le BFA maintiendra et améliorera les programmes de recrutement, de rétention et d’avancement professionnels destinés aux différents groupes de la fonction publique fédérale.

Le BFA assurera le suivi et rendra compte de l’impact des mesures de réaménagement des effectifs sur l’égalité des sexes et léquité, par ministère.

Le BFA veillera à ce que l’ACS+ soit systématiquement appliquée à toutes les nouvelles dépenses et politiques du gouvernement.