Introduction
Les Forces armées canadiennes (FAC) se trouvent à un tournant. À présent que le budget alloué à la défense atteint 2 % du PIB, un niveau jamais atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada est confronté à des défis de sécurité en constante évolution qui dépassent les menaces conventionnelles et sont de plus en plus influencés par l’évolution accélérée des effets des changements technologiques et climatiques. Pour faire face à ces défis, les investissements massifs dans la défense ne suffiront pas : il faudra également changer radicalement la façon dont le gouvernement fédéral définit et aborde la sécurité.
Pour le dire simplement, l’objectif de consacrer 2 % du PIB aux dépenses de défense—un pourcentage que le Canada s’est engagé à porter à 5 % d’ici 20351Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), Les ministres de la Défense des pays de l’OTAN adoptent de nouveaux objectifs capacitaires pour renforcer l’Alliance, 5 juin 2025.—n’est pas une politique fondée sur des données probantes. Le gouvernement fédéral doit abandonner ses objectifs idéologiques en matière de dépenses de défense pour adopter plutôt une approche fondée sur des données probantes, qui consiste à déterminer le niveau de dépenses nécessaire pour assurer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens, puis à détailler ces coûts dans le budget fédéral.
Vue d’ensemble
Bien qu’il soit qualifié de « traînard » en matière de dépenses militaires, le Canada se classe au septième rang des 32 pays membres de l’OTAN pour les dépenses de défense prévues pour la période 2024-2025, devant les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède et la Norvège2Stephen Thorne, « Canada to meet defence spending target by March 2026: Carney », Legion Magazine, 18 juin 2025.. À l’échelle mondiale, le Canada se classe au 16e rang pour les dépenses militaires3Xiao Liang et al., Trends in World Military Expenditure, 2024, Stockholm International Peace Research Institute, avril 2025, https://www.sipri.org/publications/2025/sipri-fact-sheets/trends-world-military-expenditure-2024., devançant d’autres pays développés de taille similaire ou plus grands. Même si certains persistent à dire que le Canada n’est pas à la hauteur, ses dépenses de défense sont bien plus importantes qu’on ne le pense.
L’analyse des dépenses de défense en pourcentage du PIB d’un pays, qui constitue la référence pour les membres de l’OTAN depuis 20144Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), Defense expenditures and NATO’s 2% guideline, 17 juin 2025., n’est pas une mesure efficace. Une approche plus précise consisterait à examiner les dépenses de défense effectives de chaque membre de l’OTAN en dollars américains réels.
Depuis 2016, sous le précédent gouvernement libéral, les dépenses de défense ont augmenté pour atteindre 1,37 % du PIB, soit 41 milliards de dollars, en 20245Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), Defense expenditures of NATO countries as a percentage of gross domestic product in 2024, 18 juin 2024.. Alors que les appels à une augmentation des dépenses de l’OTAN se multiplient, le Canada s’est engagé à atteindre un objectif de 5 % du PIB, dont 1,5 % pour les infrastructures liées à la sécurité6Murray Brewster et Peter Zimonjic, « Canada promises to spend 5% of GDP on defence by 2035 in pact with NATO leaders », CBC News, 25 juin 2025, https://www.cbc.ca/news/politics/canada-agrees-five-percent-gdp-defence-spending-1.7570191.. Une telle hausse des dépenses de défense représenterait un changement significatif, avec des effets d’entraînement probables dans d’autres domaines de dépenses fédérales. Cela pourrait avoir une incidence sur les programmes sociaux, les engagements multilatéraux, l’aide internationale et les actions de lutte contre la crise climatique, autant d’éléments primordiaux pour la sécurité du Canada.
Une approche crédible nécessiterait d’effectuer périodiquement et de manière transparente un examen de la politique de défense, des menaces pesant sur le pays et des lacunes en matière de capacités, afin que les niveaux de dépenses soient alignés sur des objectifs stratégiques clairs plutôt que sur des objectifs de dépenses arbitraires.
La Politique sur les résultats de 2016 du Conseil du Trésor oblige déjà chaque ministère à assurer le suivi de ses résultats. Pourtant, les projets militaires de grande envergure continuent de passer par le Cabinet car la plupart des indicateurs ne sont pas rendus publics pour des raisons de sécurité. Pour accroître la transparence et le contrôle public, le BFA exige qu’une Déclaration de décision fondée sur des données probantes (DDFDP) soit publiée pour tout projet de défense d’un montant supérieur à 100 millions de dollars avant le déblocage des fonds7Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Politique sur les résultats, BT22-172/2016F-PDF, 1er juillet 2016, https://publications.gc.ca/collections/collection_2017/sct-tbs/BT22-172-2016-eng.pdf..
La DDFDP est un rapport public de trois pages qui présente, en langage clair, la manière dont le projet s’inscrit par rapport à six piliers. Un projet ne peut être poursuivi que si la DDFDP démontre des « preuves suffisantes » pour au moins quatre des six piliers et s’il améliore manifestement l’état de préparation. Le Comité de la mesure du rendement et de l’évaluation du Conseil du Trésor publiera un résumé non classifié de la DDFDP sur le portail ouvert.canada.ca dans un délai de 60 jours, afin que le Parlement et le public puissent juger si les nouvelles dépenses permettent réellement d’améliorer la sécurité.
Déclaration de décision fondée sur des données probantes proposée
- Pertinence de la menace : L’achat doit être lié à une menace qui a été nommée et quantifiée dans la dernière Évaluation stratégique de la menace.
- Impact sur l’état de préparation : Indique en quoi le projet permettra d’améliorer, dans les 10 ans à venir, le taux de préparation des forces, actuellement de 61 %.
- Stabilité du personnel : Confirme les fonds de recrutement et de formation pour tous les métiers rares dont le projet aura besoin.
- Certitude des coûts sur la durée de vie : Assure un suivi des coûts sur 20 ans validé par le directeur parlementaire du budget.
- Cobénéfices pour le climat et la collectivité : Évalue les réductions d’émissions et les gains d’infrastructure locaux, en particulier dans le Nord.
- Risque d’escalade et de prise de contrôle des armements : Comprend un examen indépendant par un nouveau Centre canadien de réduction du risque nucléaire.
Approvisionnements
Les critiques décrivent depuis longtemps le système d’approvisionnement du Canada comme étant défaillant, inefficace et excessivement politisé. Lorsqu’il s’agit d’acquisitions dans le domaine de la défense, le processus est beaucoup plus long que d’ordinaire et l’on s’attend généralement à ce que la livraison se fasse bien au-delà du coût budgété. Le ministère de la Défense nationale (MDN) doit composer avec toutes sortes d’obstacles pour parvenir à dépenser son budget de dépenses d’investissement majeures dans les délais impartis8Eugene Lang, Use It or Lose It: SSE and DND’s Chronic Underspending Problem, Institut canadien des affaires mondiales, mai 2018.. Ce problème ne fera qu’empirer avec l’objectif de dépenses de 5 % que nous nous sommes engagés à atteindre d’ici 20359Cynthia Leach et Salim Zanzana, What does greater defence spending mean for Canada’s economy?, RBC, 13 juin 2025.. Le processus d’acquisition de matériel militaire du Canada doit être revu afin d’optimiser l’utilisation des ressources et d’obtenir le maximum d’avantages économiques et sociaux.
Le contrat d’acquisition passé il y a plus de 10 ans par l’Aviation royale canadienne (ARC) pour l’achat d’avions d’attaque interarmées F35 de Lockheed Martin, une plateforme largement critiquée pour ses coûts excessifs et ses performances insuffisantes10Peter Zimonjic, « F-35 program facing skyrocketing costs, pilot shortage and infrastructure deficit: AG report », CBC News, 10 juin 2025., peut-être le meilleur exemple de ce système défaillant. La controverse sur l’aptitude technique du F35 à accomplir des missions dans l’Arctique11Steven Staples, Why the feds flip-flopped and bought the F-35, Centre canadien de politiques alternatives, 13 janvier 2023. est particulièrement préoccupante, compte tenu des priorités actuelles du Canada en matière de défense. Le projet d’acquisition de 12 nouveaux sous-marins de patrouille12Murray Brewster, « Canada confirms plan to replace submarine fleet at NATO summit », CBC News, 10 juillet 2024. de la Marine royale canadienne (MRC) est un autre bon exemple. Actuellement, un sous-marin sur quatre seulement est en état de naviguer et il manque cruellement de personnel qualifié pour les manœuvrer13Richard Shimooka, A significant boost to security: Inside Canada’s plans to replace its submarines, Macdonald-Laurier Institute, 17 avril 2023..
Le Canada doit rationaliser son système d’acquisition de matériel de défense afin d’utiliser plus efficacement les ressources budgétaires actuelles, en se concentrant sur la fourniture des bonnes capacités, dans le respect des délais et du budget. Pour ce faire, il faut créer un organisme indépendant chargé des acquisitions de défense. Celui-ci devra s’assurer que les acquisitions envisagées font d’abord l’objet d’un processus d’examen stratégique garantissant le respect des exigences de capacité, la clarté des coûts-avantages et l’obtention des meilleurs avantages technologiques et économiques. En 2019, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de créer un tel organisme : Approvisionnement de défense Canada. Toutefois, cette initiative a été mise en suspens, puis elle a disparu des lettres ministérielles à la suite de la pandémie de COVID-1914Comité permanent de la Défense nationale, L’heure du changement a sonné : Réforme de l’approvisionnement en matière de défense au Canada, Chambre des communes du Canada, 19 juin 2024..
Dans la mesure du possible, le MDN devrait s’efforcer de s’approvisionner auprès d’industries canadiennes, en privilégiant un engagement direct avec les syndicats des secteurs privés de l’aérospatiale et de la défense, afin d’optimiser les retombées industrielles. Le gouvernement fédéral doit continuer à tirer parti de la Politique des retombées industrielles et technologiques (RIT), qui exige que les producteurs de matériel de défense ayant obtenu des contrats du MDN mènent au Canada des activités commerciales d’une valeur équivalente. Nous devons également établir des partenariats stratégiques qui encouragent l’innovation canadienne afin de répondre aux besoins du gouvernement et du MDN, plutôt que d’acheter auprès de fournisseurs non canadiens des solutions prêtes à l’emploi qui peuvent être « correctes », mais qui nous font rater l’occasion de mettre l’expertise canadienne à contribution pour fournir des solutions meilleures et mieux adaptées.
Parallèlement, le gouvernement fédéral doit rester conscient du cycle d’expansion-récession qui caractérise souvent les grandes acquisitions de défense auprès de fournisseurs nationaux, un schéma qui a parfois mené à de l’exportation-dépendance à des pays étrangers qui affichent un bilan médiocre en matière de droits fondamentaux15Rhonda Ferguson et Jamal Zarlasht, « A Health-Based Case against Canadian Arms Transfers to Saudi Arabia », Health and Human Rights, vol. 22, no 2, 22 décembre 2020.. Lorsque des équipements militaires canadiens sont exportés vers des régimes qui agissent à l’encontre des valeurs canadiennes ou sont utilisés dans des conflits marqués par de graves violations des droits fondamentaux, ils portent atteinte aux intérêts du Canada et à sa réputation internationale, mais surtout à la paix et à la sécurité.
Changement climatique et sécurité de l’Arctique
Une composante essentielle de la politique de défense actuelle du Canada, telle que décrite dans la publication Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada16Ministère de la Défense nationale, Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada, Gouvernement du Canada, 3 mai 2024., consiste à renforcer la sécurité dans l’Arctique et à affirmer la souveraineté du Canada dans cette région.
Le changement climatique continue de remodeler le paysage canadien, en particulier dans l’Arctique, qui se réchauffe quatre fois plus rapidement que le reste de la planète17Mika Rantanen et al., « The Arctic Has Warmed Nearly Four Times Faster than the Globe since 1979 », Communications Earth & Environment, vol. 3, no 168, août 2022.. La fonte de la glace de mer a ouvert des régions auparavant inexploitées à l’extraction de ressources dans le nord du pays, ce qui intensifie la concurrence et fait craindre des affrontements potentiels dans cette région d’une importance capitale, mais fragile sur le plan environnemental.
Les Forces armées canadiennes (FAC) possèdent actuellement cinq installations militaires importantes dans le Nord, dont la Station des Forces canadiennes Alert, qui est le lieu habité le plus septentrional du monde18Ernie Regehr et Kelsey Gallagher, Military Footprints in the Arctic, The Simons Foundation Canada, mars 2024.. La présence croissante de l’armée canadienne dans l’Arctique, un phénomène observable dans pratiquement tous les autres pays de l’Arctique et du proche Arctique, devrait être renforcée par des investissements majeurs dans des installations à double usage, financées par le budget de la défense. Ces infrastructures peuvent être utilisées à la fois par les FAC et par des acteurs civils et commerciaux, ce qui favorisera le développement et la prospérité économiques dans le Nord tout en garantissant une gestion optimale de cette région très sensible par les communautés qui y vivent déjà.
La souveraineté ne repose pas seulement sur une présence militaire, mais aussi sur des communautés nordiques florissantes19Gouvernement du Nunavut et Nunavut Tunngavik Inc., Government of Nunavut and Nunavut Tunngavik Inc. provide roadmap to securing Canada’s Arctic sovereignty and security, communiqué de presse, 4 mars 2025.. Les Inuits sont les gardiens des territoires nordiques depuis des temps immémoriaux20Dustin Patar, “Arctic Sovereignty? Inuit Would Like a Word,” The Narwhal, April 22, 2025, https://thenarwhal.ca/arctic-sovereignty-inuit-circumpolar-council/. et les communautés arctiques continuent garantissent la souveraineté du Canada dans la région21Gouvernement du Nunavut et Nunavut Tunngavik Inc., Roadmap to Securing Canada’s Arctic Sovereignty and Securityt, 4 mars 2025, https://www.tunngavik.com/news/government-of-nunavut-and-nunavut-tunngavik-inc-provide-roadmap-to-securing-canadas-arctic-sovereignty-and-security/.. La voie à suivre passe par la réconciliation, l’équité pour les communautés nordiques, et le respect de la souveraineté, des droits et des titres des populations autochtones.
Pour asseoir de manière significative sa souveraineté dans l’Arctique, le gouvernement fédéral doit investir de manière significative dans les infrastructures du Nord, en collaboration avec les Inuits et leurs systèmes de gouvernance. Cela implique d’améliorer les infrastructures de santé et d’éducation, d’améliorer les routes et les centres de transport, d’étendre les télécommunications, de répondre aux besoins critiques en matière de logement et de soutenir la souveraineté alimentaire du Nord. Ces investissements renforceront les économies locales, permettront d’attirer et de retenir les travailleuses et travailleurs qualifiés et réduiront la dépendance à l’égard des chaînes d’approvisionnement du Sud. En fin de compte, ce sont les communautés nordiques prospères et résilientes, et non les seuls avant-postes militaires, qui constituent le fondement durable de la souveraineté du Canada dans l’Arctique.
Si les Forces armées canadiennes (FAC) sont chargées de protéger le Canada contre les menaces de sécurité conventionnelles et les acteurs hostiles, le ministère de la Défense reconnaît de plus en plus que le changement climatique constitue une menace de sécurité tangible pour la population canadienne22Jessica West, Jessica Stewart, Morgan Fox, Branka Marijan, “Climate Change, Canadian Defence, and the Arctic through a Systems Lens,” Project Ploughshares, April 2025.. Le gouvernement canadien doit donc faire en sorte que la crise climatique soit considérée comme une question de sécurité nationale s’inscrivant dans le cadre d’une stratégie climatique plus large.
Les FAC sont de plus en plus souvent mobilisées à la suite d’événements météorologiques dans le cadre de l’opération LENTUS23Ministère de la Défense nationale, Opération LENTUS, Gouvernement du Canada, 8 octobre 2024.. Elles constatent également que la réponse à ces événements perturbe l’état de préparation et, par conséquent, la réponse militaire en cas de menace conventionnelle.
Le gouvernement fédéral devrait s’efforcer d’intégrer la résilience climatique de manière plus complète dans la planification, les dépenses et les opérations de défense du Canada, en prenant en compte les impacts climatiques tels que la fonte du pergélisol ou les événements météorologiques extrêmes comme les incendies de forêt. Il devrait également assurer une coordination à l’échelle du gouvernement, en partenariat avec le Centre d’excellence OTAN pour le changement climatique et la sécurité (CECCS), en incluant notamment le MDN, Environnement Canada, les parties prenantes municipales et régionales, ainsi que les communautés autochtones.
Vu que le gouvernement fédéral a récemment remis l’accent sur le recrutement24Ministère de la Défense nationale, Le nouveau gouvernement du Canada et les Forces armées canadiennes : reconstruction, réarmement et réinvestissement, Gouvernement du Canada, 9 juin 2025., le Canada devrait également augmenter ses investissements dans les Forces de la Première réserve en consacrant des fonds au personnel chargé spécifiquement de répondre aux événements climatiques dans le cadre de l’opération LENTUS, tout en augmentant l’équipement des FAC acquis auprès de fournisseurs canadiens pour répondre à ces événements. Cette mesure permettrait à la fois d’augmenter le nombre de membres du personnel capables de répondre aux événements climatiques et d’alléger la charge pesant sur les forces militaires conventionnelles des FAC.
Armes nucléaires et « dôme d’or »
Le Canada n’a plus d’armes nucléaires depuis 1984, mais il reste sous le « parapluie » nucléaire de l’OTAN. Cette position place Ottawa sur une corde raide sur le plan diplomatique25Affaires mondiales Canada, Déclaration du Canada à la Conférence du désarmement—Segment de haut niveau 2024, Gouvernement du Canada, 26 février 2024.. Alors qu’il a toujours plaidé en faveur du désarmement nucléaire à l’ONU, le Canada soutient pleinement la doctrine de dissuasion nucléaire de l’alliance, siège au Groupe des plans nucléaires, et refuse de signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), alors que 80 % des Canadiennes et des Canadiens sont favorables à l’abolition du nucléaire26CNANW letter to Prime Minister Carney, Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires, 22 mai 2025..
En ce qui concerne la défense antimissile, la position officielle du Canada n’a pas changé depuis le rejet d’une participation directe à l’Initiative de défense stratégique des États-Unis en 1985, puis à la défense antimissile balistique du territoire américain en 200527Mark Bourrie, « POLITICS: Canada Rejects U.S. Missile Shield », Inter Press Service, 25 février 2005.. Le « dôme d’or », le bouclier antimissile proposé par l’administration Trump, permettrait d’élargir considérablement l’actuel système de défense antimissile balistique, qui ne sert actuellement qu’à intercepter les ogives des « États voyous » (c’est-à-dire la Corée du Nord) dans l’espace extra-atmosphérique, à mi-parcours de leur vol. Le « dôme d’or » vise à étendre le mandat de dissuasion et de défense à « toute attaque aérienne étrangère contre le territoire ».
Il s’agirait donc de pouvoir intercepter d’hypothétiques attaques nucléaires russes ou chinoises, scénario que pratiquement aucun expert ne considère comme possible. Le « dôme d’or » permettrait également de défendre le territoire contre les missiles balistiques à plus courte portée, qu’ils soient nucléaires ou conventionnels, ainsi que contre les missiles hypersoniques et les missiles de croisière, contre lesquels l’actuelle capacité d’interception à mi-parcours est inefficace. Le programme de « modernisation » du NORAD vise déjà à mettre en place une capacité de détection et d’interception de ces mêmes missiles.
Notre Nord, fort et libre, la mise à jour de la politique du Canada en matière de défense réalisée en 2024, nous engage déjà à soutenir les efforts de défense aérienne et antimissile intégrée du NORAD, y compris le développement de capteurs, d’intercepteurs et de systèmes de contrôle efficaces. D’une durée de 20 ans et d’un montant de 38,6 milliards de dollars, le programme de modernisation du NORAD prévoit notamment la mise en place de radars et de satellites au-dessus de l’horizon arctique. Aucun de ces projets ne fait partie de l’architecture d’interception à mi-course du système de défense antimissile balistique des États-Unis28James Fergusson, The Canadian Ballistic Missile Dilemma, Institut canadien des affaires mondiales, avril 2025., actuellement sous le « dôme d’or ». En d’autres termes, les obligations du Canada en matière de défense nationale et continentale sont remplies par le biais de l’accord NORAD Canada-États-Unis et il n’y a pas de raison impérieuse d’adhérer au « dôme d’or ».
Outre le coût astronomique du système (le coût des intercepteurs spatiaux est estimé à lui seul à 542 milliards de dollars)29Effects of Lower Launch Costs on Previous Estimates for Space-Based, Boost-Phase Missile Defense, Bureau du budget du Congrès des États-Unis, 5 mai 2025., la participation au système comporte d’autres risques, notamment celui d’entraîner une escalade qui inciterait des adversaires déclarés, comme la Russie et la Chine, à développer leurs forces offensives stratégiques et à déployer des armes antisatellites. La participation du Canada au « dôme d’or » saperait également la crédibilité de son engagement de longue date en faveur du désarmement nucléaire.
Mesures
Le BFA s’emploiera à ce que l’allocation du budget de la défense du Canada ne soit plus déterminée par l’objectif arbitraire de 2 % du PIB ou plus, mais plutôt par une approche fondée sur les besoins, prenant en compte l’environnement actuel des menaces et les lacunes en matière de capacités.
Le BFA modifiera les dispositions de la Loi sur la production de défense de manière à ce que, d’ici au budget de 2027, tout projet de défense d’un montant supérieur à 100 millions de dollars fasse l’objet d’une Déclaration de décision fondée sur des données probantes (DDFDP) avant d’être approuvé par le Conseil du Trésor.
Le BFA engagera 100 millions de dollars pour créer Approvisionnement de défense Canada (ADC), un organisme indépendant et centralisé d’acquisition de matériel de défense. Celui-ci imposera des exigences claires basées sur les capacités et procédera à un examen continu des coûts et des avantages, en vue de fournir le meilleur équipement aux FAC tout en recherchant le meilleur rapport qualité-prix au sein de notre industrie nationale. Bien qu’ADC soit un organisme d’acquisition indépendant, il sera soumis à un contrôle indépendant de la part du MDN, de Services publics et Approvisionnements Canada (SPAC) et d’une sous-commission parlementaire permanente dont la mission sera d’assurer un contrôle transparent et non partisan sur les acquisitions de défense et de garantir la responsabilité financière, la reddition de comptes et l’alignement sur les priorités stratégiques et de défense du Canada.
Le BFA annulera l’acquisition prévue de 72 des 88 avions d’attaque interarmées F35 de Lockheed Martin, puis procédera à une analyse afin de déterminer quel avion serait le mieux adapté pour remplir le rôle souhaité. Cette analyse permettra de s’assurer que les avions sont fabriqués à 100 % au Canada ou qu’ils bénéficient de garanties industrielles nationales dans le cadre de ce programme.
Le BFA réduira de 12 à 4 le nombre de sous-marins à acquérir dans le cadre du projet de sous-marins de patrouille canadiens, afin de refléter de manière plus réaliste la disponibilité actuelle du personnel de la Marine royale du Canada (MRC).
Le BFA allouera 1,095 milliard de dollars pour l’acquisition de 16 appareils DHC-515 afin d’améliorer la réponse au changement climatique. Ces avions seront acquis par l’Aviation royale canadienne en tant que premiers bombardiers d’eau appartenant au gouvernement fédéral et exploités par lui.
Le BFA allouera 1,5 milliard de dollars à des programmes d’envergure d’infrastructures civiles à double usage dans l’Arctique canadien, menés en collaboration avec les communautés autochtones et nordiques, ainsi qu’avec les gouvernements territoriaux et provinciaux, et notamment :
- des investissements dans des infrastructures de logement, de transport et d’énergie résilientes au climat pour les communautés de l’Arctique;
- un financement de projets d’adaptation au pergélisol menés par les communautés afin de prévenir les défaillances des infrastructures tant civiles que militaires dans le Nord canadien;
- une accélération de l’établissement des centres de soutien opérationnel des FAC à Iqaluit, Inuvik et Yellowknife au cours des dix prochaines années, en mettant davantage l’accent sur les dépenses d’infrastructures civiles à double usage30Ministère de la Défense nationale, Le ministre Blair annonce les premiers emplacements des carrefours de soutien opérationnel du Nord, Gouvernement du Canada, 6 mars 2025.;
- l’augmentation des fonds alloués dans le cadre de l’Initiative sur l’équipement de sécurité et l’infrastructure maritime de base dans les collectivités nordiques afin d’accroître la portée géographique du programme31Transports Canada, Nouveaux projets financés dans le cadre de l’Initiative sur l’équipement de sécurité et l’infrastructure maritime de base dans les collectivités nordiques, Gouvernement du Canada, 21 mars 2025..
Le BFA consacrera de 2,5 à 3 milliards de dollars à des capacités de connaissance du domaine à double usage qui répondent à la fois à des besoins en matière de sécurité, de climat et d’environnement. Cette mesure permettra de garantir la rentabilité et de soutenir une approche pangouvernementale de la gestion de l’Arctique, en privilégiant la collaboration avec l’industrie canadienne, dans la mesure du possible. Il s’agira notamment :
- de capteurs spatiaux pour surveiller la glace de mer, la navigation et les incursions non autorisées sur le territoire canadien;
- d’investissements dans l’intégration des données et la connaissance de la situation avec des partenaires partageant les mêmes idées;
- d’investissements dans des réseaux de capteurs polaires à double usage (satellites, bouées maritimes, par exemple) qui servent les objectifs de défense, de surveillance de l’environnement et d’adaptation des communautés;
- d’accélérer les acquisitions du Projet de renforcement des capacités de surveillance spatiale aux fins de défense (PRCSSD), dans le cadre d’une modernisation plus large du NORAD.
Le BFA allouera 1 milliard de dollars sur cinq ans pour renforcer les opérations de paix du Canada, avec un soutien ciblé au personnel, à la formation et à la préparation au déploiement. Cet investissement permettra d’améliorer la capacité du Canada à contribuer de manière significative aux missions de maintien de la paix des Nations Unies et à d’autres opérations multilatérales, en mettant l’accent sur la prévention des conflits, la protection des civils et les approches tenant compte de la dimension de genre. Ces fonds permettront d’augmenter les effectifs, de dispenser une formation spécialisée et de renforcer les capacités dans le cadre du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix (PSOP), tout en contribuant aux objectifs plus généraux de la politique étrangère du Canada dans les États fragiles et touchés par des conflits.
Le BFA consacrera 80 millions de dollars au recrutement de 6 000 membres supplémentaires de la Première réserve qui joueront le rôle de premiers intervenants en cas d’événements climatiques. Ce contingent de réservistes constituera une nouvelle sous-composante distincte de la Première réserve, appelée « Réserve climatique », et impliquera des possibilités d’affectations périodiques aux Rangers canadiens.
Le BFA engagera 50 millions de dollars pour créer un Groupe de travail national sur la sécurité climatique. Cet organe centralisé sera chargé de coordonner les efforts en matière de sécurité climatique au sein du ministère de la Défense, de Sécurité publique Canada, d’Environnement et Changement climatique Canada, des instances de gouvernance autochtones et des gouvernements locaux.
Le BFA lancera une étude en vue de transférer, à moyen terme, le leadership en matière de réponse aux catastrophes climatiques à des organismes civils (par exemple, Sécurité publique Canada, les bureaux de gestion des urgences, les autorités locales, etc.), afin de réduire la charge des Forces armées canadiennes (FAC) en matière de première réponse climatique.
Le BFA veillera à ce que les fonds alloués à la défense canadienne soient consacrés à la sécurité réelle, en plafonnant le programme de modernisation du NORAD et en refusant toute dépense pour le « dôme d’or » et ses ambitions irréalistes, notamment les intercepteurs de missiles dans l’espace.


