Dans son énoncé économique de l’automne cette année, le gouvernement de l’Ontario a répété sans cesse son intention de protéger l’économie et la population de l’Ontario « pour des décennies à venir ». Les paroles s’envolent. L’énoncé ne comportait aucun investissement nouveau et substantiel, comme l’a souligné le CCPA dans son analyse le jour même.
Notamment, une fois de plus, le gouvernement provincial a oublié l’éducation malgré les diverses crises dans le secteur.
Tous savent que les collèges et les universités de l’Ontario sont en difficulté. Après des décennies à dépendre des droits de scolarité des étudiants internationaux pour équilibrer leurs comptes, ils sont durement touchés par le plafond fédéral imposé au nombre d’étudiants de l’étranger qu’ils peuvent admettre chaque année. Au lieu de restaurer le financement public à son seuil antérieur de manière à rendre abordable la formation de niveau postsecondaire, le gouvernement du jour a choisi de ne rien faire.
Les fissures dans les réseaux primaires et secondaires d’éducation se creusent de plus en plus. Depuis 2018, la province a privé les conseils scolaires de 6,3 milliards de dollars de financement, obligeant les écoles à rationner constamment les ressources existantes. Près de 40 pour cent de toutes les écoles sont dans un état de délabrement. L’éducation spécialisée demeure lamentablement sous-financée en fonction d’une formule de financement qui fait fi des besoins réels sur le terrain.
Malheureusement, ce n’est pas tout. Une autre crise, moins visible celle-là et tout aussi déconcertante, se prépare en arrière-plan.
Le personnel enseignant au primaire et au secondaire vieillit — plutôt rapidement — et ce n’est pas en raison de tendances générales en matière de main-d’œuvre. Il n’y a pas de recherche pour en expliquer précisément la cause et, plus important, il n’y a pas de plan établi pour éviter une pénurie majeure et répandue d’enseignants et d’enseignantes.
Les faits connus
Durant l’année scolaire 2002-2003, 15,5 pour cent des enseignant-e-s en Ontario étaient dans la vingtaine. Vingt ans plus tard, ce pourcentage a chuté à 4,9 pour cent. La part d’enseignant-e-s dans la trentaine a également diminué, passant de 29,1 pour cent à 25,5 pour cent. D’autre part, les enseignant-e-s dans la quarantaine représentent près de 40 pour cent de la main-d’œuvre active en enseignement, alors qu’auparavant ils représentaient 28 pour cent de cette main-d’œuvre. La part d’enseignant-e-s âgés de 60 ans et plus a triplé au cours des 20 dernières années.
Bref, il y a 20 ans, 45 pour cent des enseignant-e-s en Ontario étaient âgés de moins de 40 ans et maintenant, ils ne sont plus que 30 pour cent. Les enseignant-e-s âgés de 40 ans et plus représentent maintenant 70 pour cent de la main-d’œuvre en enseignement.
Le nombre moyen d’années de service a également augmenté au cours des 20 dernières années, de manière semblable à la composition en âge. En 2003, 46 pour cent des enseignant-e-s étaient des vétérans de l’enseignement qui étaient membres de l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario depuis 15 ans ou plus; 30 pour cent accumulaient de 6 à 15 années de service; et près d’une personne sur quatre exerçait la profession d’enseignant en Ontario depuis moins de cinq ans. Vingt ans plus tard, seulement 13 pour cent des enseignant-e-s sont en exercice depuis moins de cinq ans, tandis que la part de vétérans a augmenté à 57 pour cent.
Une main-d’œuvre composée de travailleuses et de travailleurs d’âge différent constitue une force. En enseignement, où les stages et le mentorat sont des volets fondamentaux de la formation, les éducateurs et éducatrices chevronnés ont un rôle crucial auprès des novices afin d’assurer leur plein épanouissement professionnel. Lorsque l’on a une main-d’œuvre plus âgée, le problème est qu’un nombre élevé de travailleurs et de travailleuses sont susceptibles de partir à la retraite au même moment, ce qui réduira considérablement l’expérience sur le terrain et pourrait entraîner une pénurie d’enseignants et d’enseignantes.
Nous ne comprenons pas complètement les causes
Présentement, on ne parvient pas à expliquer clairement les raisons de ce qui se passe.
Les tendances générales en matière de main-d’œuvre n’expliquent pas pourquoi la part de jeunes enseignant-e-s a chuté si abruptement. Au cours des 20 dernières années, la proportion de travailleuses et de travailleurs ontariens âgés de 60 ans et plus a augmenté, mais la proportion de ceux âgés de moins de 40 ans a diminué de seulement deux points de pourcentage, comparativement à une diminution de 15 points de pourcentage de la main-d’œuvre en enseignement.
Le changement apporté en 2015 à la durée du programme de formation en enseignement, laquelle durée est passée d’un à deux ans, est une explication possible et fréquemment proposée. Le nombre de demandes d’admission comme membre de l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario — une étape nécessaire pour être reconnu comme enseignant en Ontario — a diminué de façon significative après ce changement et il ne s’est jamais complètement rétabli.
C’est une partie de l’histoire, mais ce n’est pas l’histoire au complet.
Cette année additionnelle de formation en enseignement peut avoir dissuadé des étudiant-e-s au baccalauréat de faire carrière en enseignement, mais ce n’est pas le seul facteur. D’autant qu’une proportion plus importante d’Ontariens et d’Ontariennes poursuivent actuellement des études de niveau supérieur.
En effet, le nombre de diplômes de maîtrise — niveau d’éducation équivalent à un diplôme d’enseignement — décernés en Ontario a augmenté de 37 pour cent de 2015 à 2022. La part de la population âgée de 25 à 34 ans possédant une maîtrise ou un doctorat a augmenté de 11 à 16 pour cent depuis 2015. En Ontario, les gens poursuivent davantage des études supérieures — non moins, mais ils sont moins nombreux à choisir une carrière en enseignement.
La détérioration des conditions de travail, qui rend la profession d’enseignant moins attrayante, est une autre explication possible.
Des enseignant-e-s ont indiqué que depuis la pandémie de COVID-19, les élèves ont moins de respect à leur l’endroit et sont moins disposés à suivre leurs directives. On observe des taux de violence plus élevés envers les éducatrices et éducateurs dans les écoles de l’Ontario. On dit aussi que le nombre plus grand d’élèves par classe et le manque de soutien pour les élèves à besoins particuliers rendent l’enseignement exceptionnellement éprouvant. Enfin, la montée du mouvement des « droits parentaux » a ajouté du stress pour les enseignant-e-s qui subissent les pressions de parents opposés au programme d’études de l’école publique et aux droits fondamentaux de la personne.
Même si ces facteurs doivent être partie prenante de l’histoire, ils n’expliquent pas tout non plus. Pour le moment, il n’y pas de recherches établissant de liens entre l’expérience actuelle des enseignant-e-s et la décision des étudiant-e-s d’accéder ou non à la profession.
Entretemps, la pénurie d’enseignant-e-s devient un phénomène courant.
Selon un sondage mené par People for Education, le quart des écoles de l’Ontario manquent chaque jour d’enseignant-e-s. Le gouvernement le sait. Des notes de breffage préparées pour le nouveau ministre de l’Éducation en 2024 indiquaient qu’il y avait une pénurie d’enseignant-e-s en Ontario et que la situation s’aggraverait d’ici 2027.
Et maintenant, que fait-on?
Du point de vue de la recherche, il est crucial de comprendre ce qui décourage un nombre de plus en plus élevé de personnes de choisir l’enseignement comme carrière en Ontario. Tout aussi important, il faut mieux comprendre ce qui incite des personnes à quitter la profession, soit après quelques années seulement d’exercice ou pour une retraite hâtive.
La Fédération des enseignantes et enseignants de l’Ontario estime que 48 000 enseignant-e-s agréés ne travaillent pas présentement dans les réseaux scolaires de la province. Il faut savoir pourquoi ces personnes démissionnent. Pour le moment, les données administratives sont dispersées, les données statistiques sont fragmentaires et les données qualitatives sont anecdotiques. Un effort de recherche global aurait pour effet de combiner ces trois types de données à l’intérieur d’un cadre méthodologique rigoureux.
Du point de vue gouvernemental, nous avons besoin d’un plan de recrutement. Il n’est pas nécessaire de comprendre le « pourquoi » du problème pour agir. Améliorer les conditions de travail, financer suffisamment les écoles et ne pas s’attaquer aux droits des travailleurs et des travailleuses contribuerait dans une large mesure à faire à nouveau de l’enseignement un choix de carrière intéressant.
Il n’est pas possible de protéger l’économie de l’Ontario si on néglige l’éducation. Les travailleurs et les travailleuses sont l’épine dorsale d’une économie forte. Les garderies, les écoles, les collèges et les universités sont des lieux où les personnes — jeunes et vieilles — vont pour apprendre, se développer et apprendre un métier.
Des générations de femmes et d’hommes politiques en Ontario ont compris le rôle crucial de l’éducation publique pour le développement économique. Même des conservateurs comme John Roberts l’ont compris. Mais l’actuel gouvernement semble avoir séché les cours abordant ce sujet.


