Sommaire

La précarité économique croissante et l’absence de soutien communautaire sont des préoccupations pressantes pour les jeunes adultes qui sont parents—ou qui aspirent à le devenir. Les gouvernements ont un rôle important à jouer dans le soutien aux familles qui élèvent de jeunes enfants, et ils doivent veiller à ce que tous les parents disposent du temps, des ressources et du soutien nécessaires à l’épanouissement de toute la famille.

Les programmes de congé parental sont indispensables à cette mission, car ils procurent du temps protégé et rémunéré aux parents à l’occasion de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. Pourtant, en comparaison avec d’autres pays à revenu élevé, le Canada offre relativement peu de soutien, compte tenu de sa richesse.

Le régime canadien de prestations parentales du programme d’assurance-emploi (AE) est un système profondément inéquitable qui favorise les parents ayant un emploi stable et un revenu élevé, à la différence de ceux qui ont le plus besoin d’aide, comme les familles monoparentales, les familles à faible revenu et les parents en situation d’emploi précaire.

Le niveau de soutien offert aux nouveaux parents est très modeste et les critères d’admissibilités sont restrictifs. Un soutien financier inadéquat expose non seulement les familles au risque de tomber dans la pauvreté, mais dissuade également les parents de prendre un congé parental.

Par contraste, le Régime québécois d’assurance parentale, instauré en 2006, apporte un soutien à un groupe de parents beaucoup plus large, y compris les travailleuses et travailleurs à faible revenu en situation d’emploi atypique, tandis que la couverture obligatoire des travailleuses et travailleurs autonomes bénéficie à un plus grand nombre de ces parents largement exclus de l’AE.

Le régime québécois de congé parental est aussi plus généreux. Il est conçu pour remplacer une part plus importante du revenu grâce à un taux de remplacement du revenu plus élevé—compris entre 70 % et 75 %—et à un maximum de rémunération assurable (MRA) beaucoup plus élevé. Actuellement, les nouveaux parents peuvent recevoir jusqu’à concurrence de 1 319 $ par semaine sous le régime de base du RQAP, soit deux fois plus que les 695 $ que le programme d’AE leur offre en 2025.

Les mesures temporaires de l’AE ont montré ce qu’un système plus inclusif pouvait accomplir, non seulement en matière de congé parental, mais aussi sur le plan plus large de l’accès au congé d’aidant. En 2021, 74 % des nouveaux parents ayant un enfant de moins de 18 mois ont reçu des prestations de maternité ou parentales, ce qui représente une augmentation de 8,8 points de pourcentage par rapport à 2019.

Le rétablissement de l’ancien seuil d’admissibilité plus strict aux prestations d’AE et l’élimination du minimum de prestation à 500 $ ont donné lieu à une baisse prévisible du taux de couverture chez les parents hors Québec.

Alors que les jeunes familles sont confrontées au coût très élevé de la vie, le temps est venu de procéder à une réforme permanente du système de congé parental de l’AE. Dans ce rapport, nous présentons et évaluons différentes stratégies destinées à créer un programme plus équitable et plus efficace.

Recommandations

  • Augmenter le taux de remplacement du revenu de l’AE pour le congé de maternité, le congé parental et le congé d’adoption à 75 % (et à 55% pour les parents qui choisissent le congé parental prolongé). Cette mesure représenterait une augmentation considérable de 43 % et inciterait 59 000 parents de plus, actuellement admissibles au programme, à demander des prestations…et à prendre un plus grand nombre des semaines qui leur sont offertes, en particulier parmi les familles à faible revenu.
  • Aligner le seuil du maximum de la rémunération assurable (MRA) sur celui du Régime québécois d’assurance parentale, fixé à 98 000 $ en 2025 et indexé en fonction de l’évolution annuelle de la rémunération hebdomadaire moyenne. L’augmentation du seuil du MRA entraînerait automatiquement une augmentation du taux maximal des prestations, qui passerait à 1 037 $ par semaine pour le régime standard (55 %) et à 622 $ par semaine pour le régime spécial (33 %).
  • Établir une règle d’admissibilité pancanadienne moins stricte au congé parental de l’AE, tant pour les travailleuses et travailleurs salariés que pour les travailleuses et travailleurs autonomes, en s’inspirant du Régime québécois d’assurance parentale (à savoir un revenu annuel de 2 000 $). Cette mesure permettrait de mieux servir les parents aux revenus faibles ou modestes.
  • L’augmentation du taux de remplacement du revenu et l’instauration d’un seuil de revenu de 2 000 $ serait encore plus efficace pour créer un environnement économiquement sûr pour la grande majorité des nouveaux parents. Le nombre de bénéficiaires augmenterait de près de 67 000 en 2025, les hausses les plus importantes se situant dans les deux déciles inférieurs. Les nouvelles familles recevraient en moyenne 745 $ par semaine, soit 31 000 $ sur l’ensemble de la période de congé.
  • L’instauration d’une prestation plancher de 500 $ par semaine aurait un impact considérable sur la valeur moyenne des prestations des familles à faible revenu. La prestation moyenne des parents du décile de revenu inférieur augmenterait de 68,5 % à 502 $ par semaine. L’instauration d’une prestation plancher favoriserait également un taux de participation beaucoup plus élevé, et au-delà de 25 000 parents de plus demanderaient des prestations.
  • Accroître la flexibilité dans la prise des congés, en s’inspirant des modèles européens dans lesquels les parents ou aidants peuvent prendre leur congé en une ou plusieurs fois, à temps plein ou à temps partiel, ou sur plusieurs années.
  • Transformer l’actuelle prestation parentale partagée en un droit individuel non transférable et indépendant de l’admissibilité du co-parent, avec la possibilité pour les parents célibataires de prendre un congé plus long, afin d’encourager la prise du congé parental par les pères et les deuxièmes parents.
  • Éliminer la limite de 50 semaines pour le cumul des prestations parentales spéciales et des prestations régulières, en portant la période de référence et de prestations à 104 semaines.

Avec un programme inclusif et de qualité, on s’assure que les parents disposent du temps et des ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins essentiels de santé et de développement de leurs enfants, d’une manière qui tient compte des différentes formes de familles et des situations d’emploi atypiques, tout en favorisant l’égalité entre les hommes et les femmes, tant dans l’emploi rémunéré que dans la prestation de soins non rémunérés.

Des prestations parentales généreuses contribuent également à réduire les disparités économiques entre les parents qui ont des moyens différents, en évitant le basculement dans la pauvreté, précisément au moment de la vie d’un enfant où la prévalence de la pauvreté est historiquement la plus élevée et la plus dévastatrice.

Les avantages économiques d’un tel système sont considérables et profitent non seulement aux enfants et à leurs parents, mais aussi aux employeurs, à la communauté et à l’économie dans son ensemble.

Introduction

Les gouvernements ont un rôle important à jouer dans le soutien aux familles qui élèvent de jeunes enfants, et ils doivent veiller à ce que tous les parents disposent du temps, des ressources et du soutien nécessaires à l’épanouissement de toute la famille. Les programmes de congé parental sont indispensables à cette mission, car ils procurent du temps protégé et rémunéré aux parents à l’occasion de la naissance ou de l’adoption d’un enfant1On utilise couramment le terme « congé parental » pour désigner les différents congés payés et avec protection de l’emploi dont peuvent disposer les parents à l’occasion de la naissance, de l’adoption ou de la prise en charge d’un enfant. Dans notre rapport, nous faisons une distinction entre les différents types de congés, à savoir le congé de maternité, le congé de paternité, le congé d’adoption et le congé parental..

Ces programmes contribuent à donner le meilleur départ possible aux nourrissons et à promouvoir la santé et le bien-être de tous les membres de la famille. Ils favorisent la formation de liens affectifs entre l’enfant et les parents, soutiennent le revenu familial, réduisent le stress en rapport avec la vie professionnelle et facilitent l’accès aux soutiens familiaux et communautaires nécessaires2UNICEF, 2019, Paid parental leave and family-friendly policies: An evidence brief.. Les programmes de congé parental sont particulièrement important pour ce qui est de protéger le lien des femmes avec le monde du travail et de leur assurer un revenu, mais aussi pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, tant dans l’emploi rémunéré que dans le travail de soins non rémunéré3Jennifer Robson, mars 2017, Parental benefits in Canada: Which way forward? Étude de l’IRPP no 63, p. 13-14.. Ils sont essentiels aux efforts pour créer une société équitable et égalitaire.

Le système canadien de prestations parentales a été créé il y a plus de 50 ans en tant que programme spécialisé rattaché au régime beaucoup plus vaste de l’assurance-emploi (AE). Cette décision malheureuse a engendré un système profondément inéquitable qui favorise les parents ayant un emploi stable et un revenu élevé, à la différence de ceux qui ont le plus besoin d’aide, comme les familles monoparentales, les familles à faible revenu et les parents en situation d’emploi précaire.

De plus, dans les familles composées d’un couple, les critères d’admissibilité restrictifs et le faible taux de remplacement du revenu du programme d’AE accentuent la vulnérabilité économique du parent au revenu le plus faible (le plus souvent la mère) et dissuadent le parent au revenu le plus élevé (le plus souvent le père) de prendre sa part du congé parental. De par sa conception même, le système perpétue les préjugés sexistes du marché du travail. Le manque de soutien pour les soins aux enfants empêche les femmes de s’engager pleinement sur le marché du travail rémunéré, ce qui explique en grande partie leur surreprésentation dans les emplois vulnérables, mal rémunérés et précaires, ainsi que l’inégalité de répartition de la charge familiale.

Bien que le système canadien de congé parental ait évolué graduellement depuis les années 1970, il n’a pas suivi le rythme des besoins des familles ou du marché du travail canadien. La pandémie a mis en évidence ses lacunes flagrantes et ses inégalités persistantes. En réaction à la crise sanitaire, le gouvernement fédéral a pris des mesures afin de mettre en place un système de services de garde d’enfants de grande qualité, abordable et accessible à tous. Le temps est maintenant venu d’élaborer des politiques en matière de congé parental qui répondent aux besoins de toutes les familles, en particulier de celles dont les revenus sont faibles ou modestes et qui sont actuellement aux prises avec un coût de la vie très élevé.

Dans ce rapport, nous examinons les forces et les faiblesses des politiques en matière de congé parental au Canada et des réformes récentes. En dernière partie, nous présentons et évaluons des stratégies visant à mettre en place un système de prestations parentales de l’AE apte à soutenir de manière plus équitable et plus adéquate les familles ayant de jeunes enfants.

Mise en contexte : Les jeunes familles sont au pied du mur

Au cours des cinq dernières années, les travailleuses et travailleurs de moins de 35 ans, y compris celles et ceux qui ont de jeunes enfants à charge, ont particulièrement souffert des fluctuations du marché du travail4Katherine Scott, 2021, Women, Work and COVID-19: Priorities for supporting women and the economy, Centre canadien de politiques alternatives.. Les plus jeunes, qui ont été les plus touchés par les pertes d’emploi au plus fort de la pandémie, subissent aujourd’hui de plein fouet le ralentissement économique provoqué par les droits de douane5Statistique Canada, tableau 14-10-0017-01, Caractéristiques de la population active selon le genre et le groupe d’âge détaillé, données mensuelles non désaisonnalisées., dont l’effet est amplifié par une croissance démographique importante6L’augmentation des taux d’immigration est un facteur important dans le façonnement de l’économie d’aujourd’hui et vient compenser en partie le départ des baby-boomers du marché du travail. Bien que les frontières aient été fermées pendant plusieurs mois en 2020, les niveaux d’immigration—y compris les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants étrangers—ont augmenté de manière significative en 2021 et 2022. Voir Statistique Canada, 22 mars 2023, « Estimations de la population du Canada : croissance démographique record en 2022 », Le Quotidien. et une flambée du coût de la vie.

La sécurité économique des familles est menacée par le coût de la vie très élevé

L’inflation a diminué depuis 2022, année où elle a atteint son niveau le plus élevé en 40 ans. Depuis, elle se maintient sous la barre des 2 %, mais le coût de la vie reste élevé. En octobre 2024, près de trois adultes sur 10 (28,8 %) âgés de 15 ans et plus vivaient dans un ménage qui a trouvé difficile ou très difficile de répondre à ses besoins financiers. C’était particulièrement le cas des locataires (39,2 %) et des immigrants récents (41,2 %)7Statistique Canada, 8 novembre 2024, « Enquête sur la population active, octobre 2024 », Le Quotidien..

Élever un enfant a toujours coûté cher. Selon Statistique Canada, une famille biparentale à revenu moyen comptant deux enfants peut s’attendre à dépenser plus de 362 000 $ par enfant de la naissance jusqu’à l’âge de 17 ans. Une famille à faible revenu dépensera un peu moins par enfant (294 000 $), mais l’écart est mince8Cette étude est basée sur les données regroupées de l’Enquête sur les finances des ménages de 2014 à 2017. Les coûts liés à l’éducation d’un enfant ont été calculés pour les familles appartenant à trois groupes de revenus avant impôt : les familles à faible revenu (moins de 83 013 $ en 2026), les familles à revenu moyen (de 83 013 $ à 135 790 $ en 2016) et les familles à revenu élevé (plus de 135 790 $ en 2016). Ces chiffres sont disponibles par région et par type de famille. Karen A. Duncan, Kristyn Frank et Anne Guèvremont, 2023, Estimer les dépenses liées aux enfants effectuées par les familles au Canada, 2014 à 2017, Direction des études analytiques : documents de recherche, Statistique Canada, no 11F0019M au catalogue, no 473..

Ces chiffres sont basés sur les modèles de dépenses observés entre 2014 et 2017. On peut donc supposer qu’élever un enfant coûte beaucoup plus cher aujourd’hui, sachant que le coût du loyer, qui constitue le poste le plus important du budget familial, a explosé; que les coûts alimentaires (incluant le lait maternisé et les couches) se sont envolés; et que les services de garde coûtent très cher lorsqu’on n’a pas la chance de décrocher une place dans le nouveau système à 10 $ par jour.

Pour celles et ceux qui sont locataires dans le marché privé, ce qui est le cas de nombreuses jeunes familles, le fardeau est particulièrement lourd. En 2022, 34,8 % des locataires à faible revenu (ceux du quintile inférieur) consacraient plus de 40 % de leur revenu au logement, comparativement à 31 % des emprunteurs hypothécaires à faible revenu9OCDE, OECD Affordable Housing Database.. Aujourd’hui, la dépense liée au logement a augmenté de 11,2 % entre octobre 2022 et octobre 2024, alors que l’indice global des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 5,2 %.

Les indicateurs de détresse économique se multiplient

L’augmentation des loyers dépasse l’inflation et la croissance annuelle des salaires, qui a été en moyenne de 5 % par année en 2023 et 2024, après des années de stagnation10Statistique Canada, Tableau 14-10-0220-01, Emploi et rémunération hebdomadaire moyenne (incluant le temps supplémentaire) pour l’ensemble des salariés selon l’industrie, données mensuelles désaisonnalisées, Canada.. Toutefois, les gains salariaux des deux dernières années ont été insuffisants, en particulier pour les travailleuses et travailleurs qui se heurtent depuis toujours à des obstacles à l’emploi11À titre d’exemple, de 2019 à 2023, l’augmentation du salaire hebdomadaire moyen des travailleuses et travailleurs autochtones a été inférieure à la moitié de celle des travailleuses et travailleurs non autochtones (1,2 % contre 2,5 %). Les familles autochtones ont du mal à garder la tête hors de l’eau..

Les taux de pauvreté ont déjà entamé une remontée dans la foulée de l’arrêt progressif des mesures d’aide au revenu de l’ère pandémique qui a commencé en 202112Katherine Scott, 2023, Canada’s Gender Pandemic Response: Did it Measure Up?, Centre canadien de politiques alternatives.. De 2020 à 2022, sur le plan national, le taux de pauvreté global des ménages a augmenté de 13,3 % à 17 % pour dépasser le seuil de référence de 201913Ces chiffres sont basés sur les données des déclarations de revenus selon la Mesure de faible revenu de la famille de recensement (FRMFR—ApI) pour mesurer la pauvreté. Statistique Canada, Tableau 11-10-0018-01—Situation de faible revenu après impôt des déclarants et dépendants selon la Mesure de faible revenu de la famille de recensement (FRMFR—ApI), selon le type de famille et la composition de la famille. Pour une discussion sur la remontée des taux de pauvreté, voir Alexi White, Sam DiBellonia et Mohy-Dean Tabbara, 2024, Warning signs: Poverty in Canada, Maytree Foundation..

En conséquence, le nombre de familles avec enfants vivant dans la pauvreté a beaucoup augmenté. En 2022, on en dénombrait 829 860, soit une famille sur sept, incluant plus de 1,4 million d’enfants âgés de 0 à 17 ans. C’est 210 600 familles de plus qu’en 2020 au plus fort de la pandémie, dont près de 100 000 familles monoparentales14Statistique Canada, Tableau 11-10-0020-01—Situation de faible revenu après impôt des familles de recensement selon la Mesure de faible revenu de la famille de recensement (FRMFR—ApI), selon le type de famille et la composition de la famille..

Bon nombre de ces familles cumulent plusieurs emplois pour joindre les deux bouts alors que les coûts de leurs besoins essentiels ne diminuent pas. Leurs revenus sont carrément insuffisants. La situation des familles bénéficiaires d’une aide gouvernementale est encore plus précaire.

Il n’est donc pas étonnant que la fréquentation des centres d’aide alimentaire connaisse une augmentation sans précédent. En mars 2024, le nombre de visites aux banques alimentaires a dépassé les deux millions, ce qui établit un record historique pour le Canada et marque une hausse de près de 90 % par rapport au niveau d’avant la pandémie. Le tiers des clients des banques alimentaires (près de 700 000) sont des enfants de moins de 18 ans, dont 93 000 enfants de 0 à 2 ans15Banques alimentaires Canada, 2024, Bilan-Faim 2024.,16En 2022, environ 8,7 millions de personnes, soit 22,9 % de la population, ont déclaré vivre une forme ou une autre d’insécurité alimentaire. Les taux étaient particulièrement élevés chez les familles monoparentales dirigées par une femme (46 %), la population autochtone (36,8 %) et la population noire (40,4 %). Statistique Canada, Tableau 13-10-0835-01—Insécurité alimentaire selon certaines caractéristiques démographiques et Tableau 13-10-0834-01—Insécurité alimentaire selon le type de famille économique..

Comme l’explique le rapport Bilan-Faim 2024, « la force inéluctable et non négociable de l’inflation du secteur immobilier amplifie la crise du logement abordable pour les ménages des quintiles de revenu les plus bas. […] Alors que les coûts non négociables, comme le loyer, représentent une part toujours plus importante du revenu disponible des personnes de ce groupe, la nourriture passe après et la probabilité que ces personnes aient besoin d’une banque alimentaire augmente. »17Banques alimentaires Canada, 2024, p. 13.

Les jeunes remettent en question leur projet d’être parents

La précarité économique croissante et l’absence de soutien communautaire sont des préoccupations pressantes pour les jeunes adultes qui sont parents—ou qui aspirent à le devenir. Le coût élevé du logement et des produits de première nécessité réduit leur capacité à atteindre des objectifs financiers importants et influe sur leur décision de mettre ou non des enfants au monde.

Selon une enquête menée par Statistique Canada en 2022, près de quatre jeunes adultes sur 10 (âgés de 20 à 29 ans) estimaient ne pas avoir les moyens d’avoir un enfant au cours des trois années suivantes, et un sur trois ne pensaient pas réussir à accéder à un logement convenable18Statistique Canada, 20 septembre 2023, « Composer avec les obstacles socioéconomiques : incidence sur le bien-être des jeunes Canadiens », Le Quotidien..

Un sondage plus récent d’Angus Reid révèle que plus de la moitié des parents potentiels retardent le moment d’avoir des enfants plus longtemps qu’ils ne le voudraient en raison de préoccupations financières, notamment le coût du logement et des services de garde. Parmi les personnes interrogées, 37 % ont déclaré n’avoir aucune intention d’avoir un enfant ni d’en élever un19Angus Reid Institute, 2024, Birth rate crisis? Half of those who want children have waited longer than they’d like, due largely to cost..

En 2023, le taux de fécondité du Canada a atteint son niveau le plus bas jamais enregistré : 1,26 enfant par femme20Statistique Canada, 25 septembre 2024, « Naissances et mortinaissances, 2023 », Le Quotidien.. Ce déclin s’explique par plusieurs facteurs, notamment l’augmentation du niveau d’éducation des femmes et de leur taux de participation à la population active. Toutefois, les préoccupations d’avenir, l’ampleur des défis économiques et le manque de soutien communautaire prennent de plus en plus d’importance dans l’esprit des jeunes.

De manière générale, la proportion d’adultes (de 15 à 34 ans) se disant optimistes face à l’avenir a diminué21En 2016, par exemple, près de huit jeunes adultes sur 10 étaient toujours ou souvent optimistes quant à l’avenir. En 2021-2022, ce chiffre avait chuté de 15 points de pourcentage. Statistique Canada, 17 mai 2022, « L’optimisme est en baisse au Canada : avoir des enfants ou des liens étroits avec une collectivité locale est associé à une perception positive de l’avenir », Le Quotidien.. Au troisième trimestre de 2024, à peine la moitié des adultes de 25 à 34 ans (51,9 %) ont déclaré être toujours ou souvent optimistes face à l’avenir22Statistique Canada, Tableau 13-10-0848-01—La vision de l’avenir selon le genre et certaines autres caractéristiques sociodémographiques.. Nous ne mesurons pas encore pleinement l’ampleur et les conséquences de cette tendance. Comme l’avance Chantal Braganza dans un article récent, si génération actuelle ne parvient pas à entrevoir un avenir où elle pourra loger, nourrir ou prendre soin de la génération suivante, elle aura des problèmes, tant sur le plan économique qu’existentiel23Chantal Braganza, janvier-février 2025, « Want to Raise a Kid in Canada? That’ll Be $293,000 . . . and climbing », The Walrus..

Le Canada est en retard sur ses pairs en matière de soutien aux enfants et aux familles

Les premières années de la vie d’un enfant sont déterminantes et conditionnent ses perspectives de santé et de bien-être tout au long de sa vie. Les politiques publiques ont un rôle essentiel à jouer pour garantir aux enfants le meilleur départ possible en veillant à ce que les familles disposent du temps, des ressources et du soutien nécessaires pour s’en occuper et à ce que les disparités flagrantes sur le plan des chances dans la vie soient réduites24Daniel Engster et Helena Olofsdotter Stensöta, 2011, « Do family policies matter for children well-being? », Social Politics, 18(1), pp. 82-124.. Le congé parental, les allocations familiales et la disponibilité de services de garde de qualité sont les bases de l’épanouissement de tous les enfants. Pourtant, en comparaison avec d’autres pays à revenu élevé, le Canada offre relativement peu de soutien, compte tenu de sa richesse25UNICEF Canada, 2024, Le congé parental : pour chaque enfant, document de discussion de politique, p. 6..

Dans pratiquement tous les domaines de politique publique ayant un impact direct sur les jeunes enfants et leurs familles, le Canada se classe en milieu de peloton. En 2016, les dépenses ont augmenté avec l’instauration de l’Allocation canadienne pour enfants améliorée. Néanmoins, le Canada continue de faire pâle figure en termes de dépenses publiques totales consacrées aux familles, se classant au 24e rang des pays de l’OCDE, avec des dépenses qui représentent seulement 1,76 % du PIB, soit moins que la moyenne de l’OCDE (2,10 %)26OCDE, Public expenditure on family by type of expenditure in % GDP..

En ce qui concerne les dépenses publiques consacrées au congé de maternité et au congé parental, le Canada se classe au 18e rang, avec des dépenses représentant 0,25 % du PIB27OCDE (2024), PF2.1. Parental leave systems, Base de données de l’OCDE sur la famille (mise à jour en février 2024). Les chiffres de l’OCDE reflètent uniquement les prestations de palier national ou fédéral et ne tiennent pas compte des variations régionales ou des prestations supplémentaires/alternatives fournies par les États/provinces ou les gouvernements locaux, y compris le Québec au Canada. Le classement tient seulement compte des pays qui ont mis en place des programmes de congé de maternité et de congé parental rémunérés.. En 2019, il a dépensé en moyenne 12 305 PPA USD par enfant, soit nettement moins que la moyenne de 17 248 PPA USD des pays de l’OCDE. Les dépenses publiques du Canada pour les prestations de maternité et de congé parental n’ont pas connu de changement notable depuis l’élargissement du congé parental en 200128Les dépenses sont généralement les plus élevées dans les pays nordiques, en raison de la générosité des taux de prestations et du taux élevé d’utilisation par les mères et les pères. Les pays d’Europe centrale et orientale dépensent également beaucoup plus par enfant que le Canada, car ils offrent un plus grand nombre de mois de congé payé aux parents..

Le Canada fait particulièrement piètre figure en ce qui concerne les dépenses consacrées aux services destinés aux enfants et aux familles. En 2019, il s’est classé au dernier rang au chapitre des dépenses consacrées à l’éducation et à la garde des jeunes enfants (0,28 % du PIB), comparativement aux pays les plus performants que sont l’Islande (2,32 %), la Suède (2,13 %) et le Danemark (2,04 %). Avec le nouveau système fédéral, on peut s’attendre à ce que le pourcentage des dépenses consacrées à la garde d’enfants augmente, mais le Canada a encore un long chemin à parcourir pour rattraper son retard.

L’expérience de la pandémie a révélé au grand jour les faiblesses du filet de sécurité sociale du Canada, y compris en ce qui concerne l’aide aux jeunes familles. La crise actuelle du coût de la vie accentue encore davantage la pression. Le moment est venu de renforcer le soutien du Canada aux familles en s’inspirant du système novateur de congé parental du Québec, mais aussi de remédier aux disparités systémiques en matière d’accès et d’augmenter le faible niveau de protection du revenu actuellement offert aux familles ayant de jeunes enfants.

Familles ayant de jeunes enfants : Statistiques clés

En 2023, plus de 350 000 bébés sont nés au Canada. Depuis 2009, mis à part un léger rebond en 2021, le nombre de naissances tend à diminuer29Statistique Canada, Tableau 13-10-0415-01—Naissances vivantes, par mois..

Le Canada compte aujourd’hui près de 1,6 million de familles avec de jeunes enfants de moins de cinq ans30Statistique Canada, Tableau 39-10-0041-01 – Familles de recensement avec enfants selon l’âge des enfants et les enfants par groupes d’âge.. En raison du vieillissement de la population et de la baisse de la fécondité, les jeunes familles représentent une part décroissante de l’ensemble des familles (16 % en 2021), tandis que celles avec des enfants plus âgés ou sans enfant ont connu une croissance plus rapide au cours des dernières décennies31Statistique Canada, 22 octobre 2024, « Profil sociodémographique des familles ayant de jeunes enfants », Le Quotidien..

La plupart des jeunes enfants vivent dans des familles composées d’un couple—marié ou en union libre—en particulier les très jeunes enfants de moins de deux ans. Les familles monoparentales ayant de jeunes enfants sont en grande majorité dirigées par une femme.

Ceux qui sont parents d’enfants de moins de cinq ans aujourd’hui sont en moyenne plus âgés que ceux de la génération précédente. L’âge moyen de la mère lors de l’accouchement est en hausse constante depuis près de cinq décennies, et il est passé de 26,7 ans en 1976 à 31,6 ans en 202232Claudine Provencher et Nora Galbraith, 2024, La fécondité au Canada de 1921 à 2022, Documents démographiques, Statistique Canada, no91F0015M au catalogue..

Les parents de jeunes enfants présentent une grande diversité raciale et ethnique, et le tiers d’entre eux (33,3 %) ont immigré au Canada33Statistique Canada (2024b).. De même, en 2021, environ le tiers (33,9 %) des parents de jeunes enfants appartenaient à un groupe racisé34Ibid. et 5,3 % appartenaient à des collectivités autochtones35Ibid..

Le double système de congé parental du Canada : Comment les régimes se comparent-ils?

Avec des services de garde de qualité, les prestations parentales et les congés avec protection de l’emploi sont des outils politiques importants qui aident les familles à trouver un équilibre entre le travail rémunéré et les responsabilités familiales. Aujourd’hui, le Canada dispose d’un système complexe de soutien aux nouveaux parents qui propose deux régimes de congé parental payé pour s’occuper d’un nouveau-né ou d’un enfant adopté : d’une part, un programme fédéral qui offre un soutien financier aux familles hors Québec et, d’autre part, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) qui s’adresse aux résidents du Québec36Le droit à un congé sans solde avec protection de l’emploi est une autre dimension essentielle du système canadien de congé parental. Cette protection de l’emploi est accordée par les lois provinciales et territoriales sur les normes d’emploi et par le Code canadien du travail pour les travailleuses et travailleurs des industries sous juridiction fédérale..

Ces programmes ont été mis en place pour permettre aux parents de prendre un congé payé afin de se consacrer à des tâches de soins socialement importantes, mais aussi pour faciliter la convalescence de la mère après l’accouchement (dans le cas du congé de maternité)37Les parents adoptifs n’ont pas accès aux prestations de maternité. Un nouveau programme de prestations pour les parents adoptifs est en voie d’être mis en place. Toutes les mères porteuses ont désormais accès aux prestations de maternité.. Dans ce contexte, le congé parental fonctionne comme une politique en matière d’emploi, étant notamment conçu pour préserver le lien des femmes avec le marché du travail. Mais il fonctionne aussi comme une politique de soins pour les dispensateurs de soins et les jeunes enfants, et comme une politique de protection sociale qui atténue les contraintes financières pesant sur les parents. Comme on pouvait s’y attendre, les différents programmes de congé parental varient considérablement dans leur conception et sur le plan de l’équilibre entre ces différents objectifs politiques. Ils varient également dans leurs résultats et dans l’ampleur des disparités qu’ils créent entre les classes et les sexes.

Au Canada, des différences notables existent entre le régime de congé parental du gouvernement fédéral et celui du Québec, ce dernier se rapprochant davantage du modèle social-démocrate des pays nordiques38Il faut souligner qu’en matière de programmes de congé parental—et de politique familiale en général—chaque province canadienne a ses particularités. Comme notre analyse est axée sur les questions de sécurité financière et de disparité des revenus, nous nous sommes limités à une comparaison des programmes offerts par le gouvernement fédéral et par le Québec. Voir Sophie Mathieu, Andrea Doucet et Lindsey McKay, 2020, « Parental Leave Benefits and Inter-Provincial Differences: The Case of Four Canadian Provinces », Canadian Journal of Sociology / Cahiers canadiens de sociologie, 45(2).. Les deux prochaines sections décrivent les régimes de prestations parentales du Canada, en accordant une attention particulière à leur capacité à soutenir la diversité des familles canadiennes ayant des enfants et au niveau d’aide financière offert pendant les premières années de vie de l’enfant, qui sont déterminantes. Cette description s’appuie sur les données récentes de l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi (ECAE) menée par Statistique Canada en 2021 afin de dresser le portrait des bénéficiaires et des exclus actuels39La population cible de l’ECAE est un sous-ensemble de la population cible de l’Enquête sur la population active. Elle exclut les populations du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, les personnes vivant dans une communauté autochtone, les membres à temps plein des Forces armées canadiennes et les personnes détenues dans des établissements carcéraux.. L’analyse porte également sur les répercussions qu’ont eu les récentes réformes politiques mises en œuvre pendant la pandémie de COVID-19 sur la perception des prestations et la sécurité financière des familles (l’annexe A.1 propose un résumé de chaque programme).

La littérature politique démontre clairement qu’un programme de congé parental rémunéré bien conçu apporte un soutien efficace aux enfants et aux familles, en particulier aux plus démunis40UNICEF, 2019.. Avec un programme inclusif et de qualité, on s’assure que les parents disposent du temps et des ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins essentiels de santé et de développement de leurs enfants, d’une manière qui tient compte des différentes formes de familles et des situations d’emploi atypiques, tout en favorisant l’égalité entre les hommes et les femmes, tant dans l’emploi rémunéré que dans la prestation de soins non rémunérés. Des prestations parentales généreuses contribuent également à réduire les disparités économiques entre les parents qui ont des moyens différents, en évitant « le basculement dans la pauvreté, précisément au moment de la vie d’un enfant où la prévalence de la pauvreté au Canada est historiquement la plus élevée et la plus dévastatrice »41UNICEF Canada, 2024, Le congé parental : pour chaque enfant, document de discussion de politique, p. 5.. Les avantages économiques d’un tel système sont considérables et profitent non seulement aux enfants et à leurs parents, mais aussi aux employeurs, à la communauté et à l’économie dans son ensemble.

Comment les régimes canadiens de congé parental se comparent-ils?

Les prestations parentales du programme fédéral d’assurance-emploi

Le système canadien de congé parental a été mis en place il y a près de 50 ans avec l’instauration de prestations de maternité pour les mères biologiques dans le cadre de ce que l’on appelle aujourd’hui le programme d’assurance-emploi (AE). Chaque année, environ 170 000 mères, plus de 220 000 parents (mères comprises) et près de 1 700 parents adoptifs présentent une demande de prestations parentales de l’AE afin de pouvoir s’absenter temporairement du travail pour s’occuper d’un nouvel enfant42À titre de référence, en 2022, 271 000 bébés sont nés au Canada en dehors du Québec..

Le programme fédéral prévoit actuellement 15 semaines de prestations de maternité et jusqu’à 35 semaines de prestations parentales standards (ou 61 semaines de prestations parentales prolongées) pour les parents qui remplissent les conditions du programme d’AE. En 2019, une prestation parentale partagée de type « à prendre ou à laisser » a été instaurée. Cinq semaines supplémentaires (ou huit avec l’option prolongée) sont disponibles pour l’autre parent s’il accepte de prendre un minimum de cinq semaines. Pour y être admissible, les deux parents doivent remplir les conditions requises et demander des prestations parentales43Finances Canada, 2018, La nouvelle prestation parentale partagée du Canada, document d’information, budget 2018.. Les parents adoptifs ont actuellement droit à 35 semaines de congé parental; une nouvelle prestation d’adoption de 15 semaines a été annoncée en 2023 et sera mise en place dans les prochains mois44Annie Bergeron-Oliver, 13 mars 2023, « New Canada parental benefit will be arriving ‘in the coming months’ », CTV News..

Seuls les parents qui ont travaillé au moins 600 heures dans un emploi assuré au cours de l’année précédant la naissance de l’enfant sont admissibles à un congé payé. Les travailleuses et travailleurs à temps plein, avec un salaire annuel complet, n’ont généralement pas de difficulté à atteindre ce seuil, qui équivaut à 37,5 heures de travail par semaine pendant 16 semaines. Il en va tout autrement pour les nombreux parents, notamment les mères, qui travaillent à temps partiel, dans le cadre de contrats temporaires ou dans l’économie parallèle, en partie à cause de la flexibilité qu’offrent ces arrangements. Au Canada, les travailleuses et travailleurs occupant des emplois « atypiques »—qui appartiennent de manière disproportionnée à des personnes appartenant à une communauté racisée ou autochtone, ou qui sont en situation de handicap ou autrement marginalisées—sont structurellement exclus des prestations parentales, voire de l’ensemble des prestations de chômage. « L’ironie de la situation est que la forme même d’emploi que les mères peuvent choisir pour les aider à concilier travail et famille réduit du même coup leur accès aux prestations de maternité et parentales pour les enfants à venir. »45Jennifer Robson, 2017, p. 4 (traduction libre).

L’admissibilité aux prestations parentales de l’AE a été élargie aux travailleuses et travailleurs autonomes en 2011, mais les taux de participation ont été très faibles. Pour y avoir droit, les parents qui travaillent à leur compte doivent s’être inscrits au programme au moins un an avant, atteindre un seuil de rémunération minimum et démontrer qu’ils ont réduit de plus de 40 % le temps consacré à leur entreprise. Une fois inscrits, ils doivent cotiser au régime jusqu’à la fin de leur vie professionnelle46Emploi et Développement social Canada, Prestations de l’assurance-emploi pour les travailleurs autonome : Ce qu’offre le programme.. Au total, 1 170 demandes de prestations spéciales ont été présentées par des parents travaillant à leur compte en 2022-2023, principalement des femmes (94,1 %) en quête de prestations de maternité et parentales, et ces demandes ont représenté moins de 1 % (0,4 %) de l’ensemble des demandes de prestations de maternité et parentales47Commission de l’assurance-emploi du Canada (CAEC), 2024, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi, 2022-2023, p. 187. En 2022-2023, on dénombrait 52 696 travailleuses et travailleurs autonomes inscrits au programme d’assurance-emploi..

Les parents qui ont droit aux prestations parentales reçoivent un montant standard correspondant à 55 % de leur rémunération hebdomadaire assurable moyenne, à concurrence de 695 $ par semaine (au 1er janvier 2025). Ils peuvent également opter pour un congé parental prolongé pouvant aller jusqu’à 61 semaines à 33 % de leur rémunération hebdomadaire assurable moyenne, à concurrence de 417 $ par semaine48Emploi et Développement social Canada, Assurance-emploi—Avis important concernant le maximum de la rémunération assurable pour 2025..

Les familles à faible revenu ayant des enfants de moins de 18 ans et dont le revenu familial net est inférieur à 25 921 $ par année sont admissibles à un supplément familial. Ce supplément peut faire passer le taux de prestation de 55 % à un maximum de 80 % de la rémunération hebdomadaire assurable, sous réserve du plafond de prestations hebdomadaire. En 2022-2023, le supplément familial hebdomadaire moyen du programme fédéral s’établissait à 45 $ par semaine. Depuis l’instauration du supplément familial, en 1996, le seuil de revenu n’a jamais été bonifié ni ajusté à l’inflation49Commission de l’assurance-emploi du Canada (CAEC), 2024, p. 49-50..

Les parents qui touchent des prestations parentales ont également la possibilité de travailler pendant la période de prestations. Ils peuvent conserver 50 cents de leurs prestations d’AE par dollar gagné pendant la période de prestations, à concurrence de 90 % de leur rémunération hebdomadaire assurable moyenne, après quoi chaque dollar gagné est intégralement soustrait. Comme le taux de remplacement du revenu est relativement faible, la possibilité de gagner un complément est une considération importante pour certains, dans la mesure où elle leur permet de maintenir leur lien avec le marché du travail. Cependant, il s’agit là d’un autre exemple des inégalités économiques inhérentes au programme fédéral. Les familles pauvres ne jouissent pas du même droit que les familles à revenu plus élevé de prendre soin de leurs jeunes enfants à temps complet.

Le Régime québécois d’assurance parentale

Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP)50Le RQAP est le résultat d’une longue lutte menée par le Regroupement pour un régime québécois d’assurance parentale, une coalition d’organisations communautaires, féministes et syndicales. s’inscrit dans une série de politiques familiales que le gouvernement du Québec a instaurées en 1997, avec notamment le programme de garderies à 5 $ par jour51Gordon Cleveland, Sophie Mathieu et Christa Japel, 2021, « What is “the Quebec model” of early learning and child care? », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques. et une allocation intégrée pour enfants (rebaptisée depuis Allocation famille). S’inspirant des pays nordiques, le gouvernement du Parti Québécois a instauré une nouvelle politique familiale destinée à améliorer le bien-être des enfants et à favoriser les perspectives professionnelle des femmes grâce à la conciliation travail-famille52Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay, 2020, « Évolution et transformation de la politique familiale québécoise depuis 1997 », Enfances Familles Générations, no 35. Voir également Sophie Mathieu, Andrea Doucet et Lindsey McKay, 2020, « Parental Leave Benefits and Inter-Provincial Differences: The Case of Four Canadian Provinces », Canadian Journal of Sociology / Cahiers canadiens de sociologie, 45(2) : 169-193.. La nouvelle politique familiale du Québec a marqué une nette démarcation non seulement par la création d’un système provincial de services de garde, mais aussi par la rupture du lien avec le système fédéral établi de congé parental.

Le Régime québécois d’assurance parentale offre 18 semaines de congé à la mère ou à la mère porteuse, auxquelles s’ajoutent 32 semaines pouvant être partagées entre les parents, ainsi que la possibilité d’un accès individuel non transférable de 5 semaines de congé réservé au père ou aux parents d’intention de l’enfant issu d’une grossesse pour autrui53Gouvernement du Québec (sans date), Régime québécois d’assurance parentale.,54Sophie Mathieu, 2021, « Les changements apportés au Régime québécois d’assurance parental », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques.. Les parents peuvent opter pour le régime « de base » tel que décrit précédemment, ou pour un nombre moindre de semaines de congé à un taux de remplacement du revenu plus élevé.

En 2021, des semaines ont été ajoutées pour les parents ayant des naissances multiples, ainsi que pour les parents célibataires et les parents adoptifs, ce qui a permis de remédier à des inégalités de longue date dans le régime. Le gouvernement du Québec a également augmenté le nombre de semaines de prestations parentales ou d’adoption offertes aux couples qui partagent le congé parental. Quatre semaines supplémentaires sont désormais offertes aux couples sous le régime de base, et trois sous le régime particulier, dès qu’un nombre minimal de prestations partageables ont été versées à chaque parent, soit huit et six semaines respectivement.

Le régime québécois se distingue également du programme fédéral en ce qu’il offre des prestations aux travailleuses et travailleurs autonomes avec une rémunération assurable de seulement 2 000 $, indépendamment du nombre d’heures travaillées. Un nouveau parent qui travaille au salaire minimum provincial a droit aux prestations parentales s’il a travaillé environ 130 heures au cours de l’année précédente, soit moins du quart de ce qui est exigé dans les autres provinces et territoires du Canada. Il n’y a pas de délai de carence (actuellement d’une semaine dans le programme fédéral) : les prestations débutent dès le premier jour du congé.

En 2025, le RQAP remplace de 70 % à 75 % du revenu du parent (selon la durée du congé) à concurrence de 1 319 $ à 1 413 $ par semaine.

Le régime québécois offre un supplément familial basé sur le revenu conçu de la même manière que le programme fédéral, mais ses modalités sont beaucoup plus généreuses. En 2021, le seuil d’admissibilité au supplément pour faible revenu a été relevé pour passer de 25 921 $ à 28 080 $ et il a été lié à l’évolution du salaire minimum. Il s’établit actuellement à 32 760 $55Sophie Mathieu et Safa Ragued, 2022, « Plus d’argent pour plus de nouveaux parents », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques.. Désormais, c’est le revenu individuel plutôt que le revenu familial qui sert à déterminer l’admissibilité. Ainsi, les parents à revenu modeste qui vivent avec un partenaire à revenu plus élevé ne sont pas automatiquement exclus du régime québécois, contrairement au programme canadien. Les parents admissibles peuvent maintenant recevoir jusqu’à 85 % ou 100 % de leur revenu hebdomadaire moyen, selon le régime choisi.

Les parents prestataires peuvent également toucher un revenu égal à la différence entre leur revenu hebdomadaire moyen (utilisé pour calculer leurs prestations) et le montant de leurs prestations, sans que ces dernières ne soient réduites. Au-delà de ce montant, les prestations du RQAP sont réduites de chaque dollar de revenu de travail.

Comment les régimes se comparent-ils?

Tous les parents et tous les nouveau-nés devraient pouvoir bénéficier de prestations parentales—dans toutes leurs configurations familiales et dans toute leur diversité. Même si le salaire d’un conjoint constitue la principale source de revenus des nouveaux parents, les prestations parentales jouent un rôle clé en renforçant la sécurité économique des familles à un moment où elles subissent pour la plupart une baisse importante de leurs revenus.

Au Canada, y compris au Québec, les régimes de prestations parentales sont d’abord et avant tout des politiques de remplacement du revenu. Ils n’ont pas été conçus pour soutenir les parents qui attendent un enfant, mais plutôt pour aider les travailleuses et les travailleurs à interrompre temporairement leur activité rémunérée. Cela produit de grandes disparités d’accès, non seulement entre les personnes qui sont sur le marché du travail rémunéré et celles qui ne le sont pas (par exemple, les étudiants ou les parents au foyer), mais aussi entre les personnes qui travaillent elles-mêmes, essentiellement sur la base du revenu du ménage, à l’intérieur d’un système qui est financé par l’ensemble des employeurs et des salariés.

Plus de 20 années d’études sur le congé parental au Canada montrent que les critères d’admissibilité, le niveau de remplacement du revenu et les modalités des régimes (droits individuels, délai de carence, etc.) sont des facteurs déterminants pour assurer la qualité du soutien offert aux nouveaux parents et à leurs jeunes enfants, et pour favoriser la répartition de la charge familiale entre les hommes et les femmes56Voir Andrea Doucet, Sophie Mathieu et Lindsey McKay, 2020a, « Reconceptualizing parental leave benefits in COVID-19 Canada: From employment policy to care and social protection policy », Analyse de politiques 46(3), S272-S286.. Au regard des normes nationales et internationales, le Canada, à l’exception du Québec, ne se classe pas très bien.

Points clés :

  • Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) présente plusieurs avantages par rapport au programme fédéral. Pour commencer, son seuil d’accès est beaucoup plus bas, ce qui permet de soutenir un groupe de parents beaucoup plus large, y compris les travailleuses et travailleurs à faible revenu en situation d’emploi atypique.
  • Bien que l’accès aux prestations reste lié à la participation au marché du travail, le RQAP a réduit la disparité d’accès considérable qui caractérise le régime fédéral de congé parental, lequel exclut structurellement plusieurs catégories de travailleuses et de travailleurs. La couverture obligatoire des travailleuses et travailleurs autonomes a joué un rôle clé dans l’augmentation du taux de participation des parents qui travaillent à leur compte au Québec.
  • Le régime québécois de congé parental est plus généreux que le régime fédéral. Il est conçu pour remplacer une part plus importante du revenu d’un groupe plus large de travailleuses et de travailleurs, donc d’un plus grand nombre de parents à revenu moyen. Il y parvient grâce à un taux de remplacement du revenu plus élevé—compris entre 70 % et 75 %—et à un maximum de rémunération assurable (MRA) beaucoup plus élevé.
  • Le régime québécois offre également plus de choix et de flexibilité aux familles, non seulement en ce qui concerne le taux et la durée des prestations, mais aussi en ce qui a trait à la répartition des responsabilités professionnelles et familiales. À titre d’exemple, les parents peuvent choisir de prendre leur congé ensemble et, si l’employeur est d’accord, le congé et les prestations peuvent être pris en blocs de temps non consécutifs. Des changements récents ont encore accru cette flexibilité57« La période pendant laquelle les prestations de paternité, parentales partageables ou d’adoption peuvent être utilisées est prolongée et passe de 52 semaines à 78 semaines, alors qu’on peut désormais toucher les prestations de maternité à l’intérieur d’une période de 20 semaines au lieu de 18. […] Ces modifications visent à donner davantage de flexibilité aux parents qui souhaitent alterner entre des périodes de travail rémunéré et des périodes de congé parental. »—Sophie Mathieu, 2021..

En profondeur : L’accès aux prestations

En 1976, après l’instauration des prestations de maternité, la proportion de nouvelles mères prestataires du régime bonifié était de 30 %. Puis, le nombre de bénéficiaires de prestations de maternité a augmenté à mesure que les femmes ont rejoint le marché du travail en plus grand nombre, pour atteindre un pic de 53 % en 1992, peu après l’instauration des prestations parentales en 199058Statistique Canada, 25 octobre 1999, “L’assurance-emploi comme mesure de soutien aux familles ayant un nouveau-né, 1976 à 1998,” Le Quotidien.. Le taux de couverture59Le terme « taux de couverture » est utilisé ici pour décrire la proportion de parents recevant des prestations. C’est le terme qu’utilise également Emploi et Développement social Canada pour parler de la part des parents salariés ayant de jeunes enfants et touchant un revenu assuré. a baissé dans les années 1990, alors que le taux d’emploi des femmes plafonnait et que des conditions d’admissibilité plus contraignantes ont été instaurées à la suite de la grande réforme du système d’assurance-chômage par le gouvernement libéral en 1996. Dans le cadre du nouveau programme d’assurance-emploi, les travailleuses et travailleurs devaient avoir travaillé au moins 700 heures pour avoir droit aux prestations, contre 300 dans l’ancien système, ce qui a affecté aussi bien les prestataires « standards » que les prestataires « spéciaux » de l’AE.

En 2000, lors d’une annonce surprise, le gouvernement a porté la durée des prestations parentales de 10 à 35 semaines et a modifié les règles relatives au délai de carence dans le cadre de son plan d’action pour l’enfance. De plus, et surtout, le seuil d’admissibilité a été abaissé de 700 à 600 heures d’emploi assurable. Grâce à cette mesure, la proportion de nouvelles mères bénéficiant de prestations de maternité ou parentales est ainsi passée de 54 % en 2000 à 61 % en 2001. Près de 5 000 parents (dont 200 pères) exclus par les anciennes règles ont pu accéder aux prestations de congé parental en 2001. Le taux de demande des pères a également augmenté, passant de 3 % en 2000 à 10 % l’année suivante60Katherine Marshall, 21 mars 2003, « L’avantage du congé parental prolongé », Perspectives, Statistique Canada, no 75-001-XIE au catalogue..

Au début des années 2000, le nombre de demandeurs de congé de maternité et de congé parental a continué d’augmenter, puis il s’est stabilisé au cours de la décennie suivante, à environ 64 % chez les mères (comme le montre la figure 3) et 12 % chez les pères61Direction de l’évaluation, Direction générale des politiques stratégiques et de service, Emploi et Développement social Canada, 2023, Évaluation des prestations de maternité et des prestations parentales de l’assurance-emploi, p. 15.,62Ces chiffres représentent la part de tous les nouveaux parents telle que rapportée dans l’ECAE. Les chiffres publiés dans le Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi sont basés sur des données administratives internes et représentent le pourcentage de mères ayant un emploi assurable qui demandent des prestations parentales. Par conséquent, il existe une différence significative entre ces deux chiffres. En 2022, par exemple, 77,1 % des nouveaux parents au Canada (avec un enfant de moins de 18 ans) ont demandé une ou plusieurs prestations destinées aux parents. Ce groupe représentait 94,2 % de tous les parents ayant un emploi assurable.. Le nouveau programme à participation volontaire instauré en 2011 pour les travailleuses autonomes (environ une travailleuse sur 10) n’a pas permis de faire bouger les choses de manière appréciable, son taux de participation ayant été très faible. Le taux de couverture n’a pas connu d’évolution significative jusqu’à l’instauration de nouvelles règles d’admissibilité en réponse à la crise sanitaire de 2020—un point que nous aborderons en détail plus loin.

L’arrivée de la prestation parentale partagée de l’AE en 2018 a toutefois stimulé la participation des pères et des deuxièmes parents, comme souhaité. Les parents qui ont décidé de partager les prestations parentales ont pu bénéficier de cinq semaines de congé supplémentaires. Selon les données de l’ECAE, la proportion de pères ayant demandé ou prévu de demander des prestations d’AE a augmenté de 3,1 points de pourcentage de 2017 à 2018, pour s’établir à 15 %63CAEC, 2020, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2018-2019, p. 156.. Le nombre de demandes de prestations parentales partagées a continué d’augmenter chaque année et, en 2022-2023, il avait plus que doublé64Les demandes présentées entre le 1er avril 2022 et le 24 septembre 2022 ont été soumises aux conditions d’admissibilité temporaires instaurées pendant la pandémie, qui ont abaissé le seuil d’accès au programme.. En 2021, un peu plus du quart des conjoints de nouvelles mères65Les conjoints (dont la grande majorité sont des pères) sont les partenaires ou conjoints des parents sondés (dont la grande majorité sont des mères). (26,8 %) touchaient ou avaient l’intention de demander des prestations parentales d’AE, ce qui est venu réduire à 48,8 points de pourcentage l’écart toujours considérable qui les sépare des mères.

Pendant ce temps, au Québec, l’accès aux prestations de congé parental a évolué beaucoup plus rapidement après l’instauration du RQAP en 2006. L’adoption d’un revenu d’admissibilité moins élevé de 2 000 $ (toujours en vigueur) et l’inscription obligatoire des travailleuses et travailleurs autonomes ont aussitôt élargi la portée du régime66En 2021, 86,8 % des travailleuses et travailleurs autonomes étaient couverts par le RQAP. Les autres n’atteignaient pas le seuil de rémunération (calculs des auteurs).. Pour la première fois, le soutien a été étendu aux travailleuses et travailleurs en emploi atypique, c’est-à-dire non seulement autonomes, mais aussi à temps partiel, à contrat, aux études et à la demande—une main-d’œuvre en grande partie féminine et fortement racisée67Le taux d’utilisation des familles dont le prestataire principal est une travailleuse ou un travailleur autonome a connu une croissance marquée de 2006 à 2009, et de nouveau en 2021, année où plusieurs améliorations du RQAP sont entrées en vigueur.. En 2016, par exemple, 6 % de l’ensemble des demandes de prestations de maternité et parentales au RQAP provenaient de travailleuses et travailleurs autonomes, contre une fraction seulement des demandes à l’AE (0,3 %)68Voir Robson, 2017, p. 6; CAEC, 2018, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2016-2017, p. 161..

L’admissibilité au RQAP est toujours basée sur la participation au marché du travail, mais l’adoption d’une norme d’admissibilité plus inclusive a contribué à faire reculer le préjugé sexiste bien ancré en faveur des travailleuses et travailleurs à revenu plus élevé dans des emplois standards—lequel est encore bien présent dans le programme fédéral d’AE69Voir Lindsey McKay, Sophie Mathieu et Andrea Doucet, 2016, « Parental-leave rich and parental-leave poor: Inequality in Canadian labour market-based leave policies », Journal of Industrial Relations, 58(4).. En conséquence, le taux de participation des mères québécoises au régime a considérablement augmenté, passant de 55,1 % en 2001 sous l’« ancien » programme d’AE à 88,5 % en 2017, avant de redescendre légèrement à 87,6 % en 202170Mathieu, Doucet et McKay, 2020, p. 180..

De même, l’instauration d’un congé de paternité non transférable assorti d’un taux de remplacement du revenu comparativement élevé, à la manière du congé « à prendre ou à laisser » de la Scandinavie, a contribué à stimuler la participation des pères et autres partenaires, qui est passée de 16,4 % avant la mise en place du RQAP (2000-2005) à une moyenne de 79,8 % entre 2012 et 2017. Par conséquent, l’écart de participation entre les mères et les pères au Québec s’est considérablement rétréci, pour passer de près de 50 points de pourcentage entre 2000 et 2005 à seulement 5 points de pourcentage entre 2012 et 201771Mathieu, Doucet et McKay, 2020, p. 183..

Le taux de participation des pères et autres partenaires reste élevé au Québec. Les données administratives récentes indiquent que les demandes des pères ont chuté au cours des premiers mois de la pandémie, pour rebondir vers la fin de l’année72Sophie Mathieu et Marie Gendron, 2022, « Recours aux prestations de paternité pendant la pandémie de COVID-19 : Premières constatations au Québec », La famille compte, Institut Vanier de la famille..

Au début du RQAP, la plupart des pères ne demandaient que des prestations de paternité. De nos jours, ils sont beaucoup plus nombreux à demander également un congé parental. Le gouvernement a récemment proposé une nouvelle mesure incitative, afin de prolonger la durée du congé si les deux parents prennent un nombre minimum de semaines de congé parental. Le Conseil de gestion de l’assurance parentale estime que le nombre de familles partageant le congé parental a augmenté de plus de 4 000 entre 2020 et 2021; la proportion de couples qui satisfait à la condition d’admissibilité aux semaines supplémentaires a également augmenté, pour presque tripler sur la même période73Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2023, Profil des prestataires du Régime québécois d’assurance parentale 2021, p. 41..

Le régime québécois a également réussi à réduire la disparité d’accès aux prestations parentales entre les ménages à revenu élevé et à faible revenu. Le revenu du ménage est l’un des principaux facteurs prédictifs de l’utilisation des prestations, de concert avec l’appartenance à une famille à deux revenus, le niveau d’éducation et la couverture syndicale74Robson, 2017, p. 38-39..

Selon une étude réalisée en 2016 par Lindsey McKay, Sophie Mathieu et Andrea Doucet, avec l’arrivée du RQAP, la proportion de nouvelles mères appartenant à une famille à faible revenu et touchant des prestations parentales est passée de 63,7 % en 2007 à 85,4 % en 2013, ce qui a ramené l’écart avec les mères appartenant à une famille à revenu plus élevé à environ 10 points de pourcentage. En revanche, dans le reste du Canada, moins de la moitié des mères à faible revenu (43,6 %) ont touché des prestations parentales en 201375McKay, Mathieu et Doucet, 2016, p. 11-12. Les familles à faible revenu sont définies comme ayant un revenu annuel inférieur à 30 000 $. Les familles à revenu élevé sont celles qui ont un revenu annuel supérieur à 60 000 $..

L’accès aux prestations parentales (et à d’autres formes d’aide à la famille) continue de varier en fonction du revenu du ménage—comme le confirment les données récentes de l’ECAE—mais la géographie a son importance. Comme le concluent les mêmes auteurs dans une étude plus récente, en matière d’utilisation des prestations parentales, il vaut mieux être pauvre au Québec que riche en Alberta ou en Ontario76En 2016, une proportion plus élevée de mères appartenant à un ménage à faible revenu a reçu des prestations au Québec (77,5 %), que de mères appartenant à un ménage à revenu plus élevé en Alberta (72,6 %) ou en Ontario (74,8 %). Mathieu, Doucet et McKay, 2020, p. 182..

Des parents laissés de côté

Si d’importants progrès ont été réalisés au cours des 15 dernières années dans l’élaboration du système canadien de congé parental, certains parents ne remplissent toujours pas les conditions requises pour bénéficier d’une aide. Il s’agit notamment de parents qui ont un emploi rémunéré, mais qui n’atteignent pas le seuil d’admissibilité, ou qui travaillent à leur compte et n’ont pas d’emploi assurable. S’y ajoutent également de nombreux parents étudiants et nouveaux arrivants, qui sont carrément en marge du marché du travail.

Au cours des années 2010, ce groupe d’« exclus » représentait environ 30 % de tous les parents de jeunes enfants de moins d’un an, ce qui constitue la plus grande proportion hors Québec. En 2013, par exemple, plus du tiers des nouvelles mères hors Québec (35,7 %) n’avaient pas accès aux prestations de maternité et/ou parentales. Parmi elles, près de la moitié n’avaient pas travaillé au cours des deux dernières années, tandis que les autres avaient un emploi rémunéré, mais n’avaient pas le nombre d’heures requis pour être admissibles, n’avaient pas présenté de demande ou n’étaient pas couvertes par le programme d’AE.

Au Québec, le nombre de mères « exclues » est beaucoup moindre. Depuis l’instauration du RQAP, la proportion des mères n’ayant pas droit aux prestations a diminué de manière significative. En 2013, 10,7 % des nouvelles mères ne touchaient pas de prestations de maternité ou parentales, ou n’y avaient pas accès. La taille de ce groupe a peu évolué au cours des années subséquentes, oscillant entre 11 % et 12 %. La plupart des parents de ce groupe sont des personnes sans activité récente sur le marché du travail.

Au Canada, les travailleuses et travailleurs occupant les emplois les plus précaires et les familles vulnérables sont nombreux à ne pas avoir accès à un congé payé avec protection de l’emploi qui leur permettrait d’accompagner leur enfant dans les premiers mois déterminants de sa vie. Ce sont notamment de jeunes mères peu ou pas expérimentées sur le plan professionnel, de nouveaux immigrants au Canada et des parents autochtones77Par exemple, dans une étude récente, Lindsay Larios montre comment un statut d’immigration précaire constitue un obstacle à l’accès aux protections et aux programmes destinés à soutenir l’égalité entre les hommes et les femmes et le bien-être des familles. Lindsay Larios, 2022, « Precarious reproductive citizenship: Gaps in employment protections for pregnant precarious status migrants in Canada », Citizenship Studies 27(1), 19–37..

Les enfants et les familles à qui l’accès à l’assurance parentale rendrait le plus service—en particulier en cette époque où le coût de la vie atteint des sommets—sont ceux qui sont les moins susceptibles d’en bénéficier. Ces parents doivent assumer entièrement le coût très élevé de la prise en charge de leur nouveau-né.

En profondeur : Les taux de remplacement du revenu

L’autre caractéristique essentielle qui distingue le Régime québécois d’assurance parentale est le taux de remplacement du revenu qu’il offre, plus élevé que celui du programme fédéral d’AE. Le régime « standard » du programme fédéral prévoit 55 semaines de remplacement du revenu à hauteur de 55 % de la moyenne hebdomadaire assurable. Les parents peuvent également choisir l’option de 61 semaines à un taux de 33 %. En 2025, les maximums de prestation hebdomadaire étaient de 695 $ et de 417 $, selon l’option choisie.

Le Québec, quant à lui, propose deux formules : un régime « de base » qui remplace 70 % de la rémunération sur 55 semaines et un régime « particulier » qui remplace 75 % de la rémunération sur 43 semaines. Le régime de base et le régime particulier comprennent chacun un congé de paternité de type « à prendre ou à laisser », de cinq et trois semaines respectivement. Le plafond de la rémunération assurable est également beaucoup plus élevé au Québec, à savoir 98 000 $ par année, contre 65 700 $ au fédéral78Revenu Québec (sans date), Maximum de revenus assurables et taux de cotisation au Régime québécois d’assurance parentale.. Ainsi, les nouveaux parents québécois ont accès à un soutien financier beaucoup plus conséquent, avec une aide hebdomadaire de 1 319 $ pour le régime de base. C’est presque deux fois plus qu’ailleurs au pays.

Ces chiffres représentent les niveaux les plus élevés de prestations financières offertes aux nouveaux parents. Il faut garder à l’esprit que de nombreux parents gagnent beaucoup moins que les plafonds de revenu assurable et qu’ils sont incapables de prendre toutes les semaines de congé auxquelles ils ont droit, vu les faibles taux de remplacement du revenu, en particulier dans le cadre du système fédéral de prestations parentales79En ce qui concerne la durée, la plupart des nouvelles mères (92,4 %) ont pris les 15 semaines de congé de maternité auxquelles elles avaient droit (une durée moyenne de 14,6 semaines), selon les données administratives d’Emploi et Développement social Canada. Les prestations de congé parental ont été moins bien utilisées. Par exemple, parmi les parents ayant opté pour le congé « standard » et n’ayant pas partagé les prestations, 71,4 % ont utilisé les 35 semaines auxquelles ils avaient droit. Le nombre moyen de semaines était de 32,7 pour les nouvelles mères et de 17,9 pour les nouveaux pères. CAEC, 2024, p. 172.,80Dans le système fédéral, la grande majorité (85 %) des nouveaux demandeurs de prestations parentales optent pour les prestations parentales standards. Les parents qui optent pour des prestations parentales prolongées sont plus susceptibles d’avoir un gros salaire et un revenu familial plus élevé, de vivre en couple, de travailler dans une grande organisation et de toucher un complément de leur employeur. Direction de l’évaluation, Direction générale des politiques stratégiques et de service, 2024, p. 17.. Ces parents ne peuvent tout simplement pas se permettre de prendre un congé.

Selon les données administratives d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), la prestation hebdomadaire moyenne de maternité de l’AE n’était que de 541 $ en 2022-2023. Un peu plus de la moitié des demandes (51,3 %) ont donné lieu au versement de la prestation hebdomadaire maximale81CAEC, 2024, p. 168.. Pour les parents admissibles aux prestations parentales standards, la prestation hebdomadaire moyenne était de 560 $, soit 606 $ pour les pères et 541 $ pour les mères. Ceux qui ont opté pour des prestations parentales prolongées ont reçu en moyenne 359 $ par semaine, soit 372 $ pour les pères et 327 $ pour les mères. Un peu moins de 60 % des parents ont touché le maximum hebdomadaire82CAEC, 2024, p. 170-171 et annexes 2.15.5 et 2.15.9..

Pour mettre ces chiffres en perspective, en 2022, une nouvelle mère hors Québec aurait reçu en moyenne 7 900 $ de prestations de maternité et 17 700 $ de prestations parentales83Ces chiffres sont générés en multipliant la prestation hebdomadaire moyenne par la durée moyenne du congé. En 2022-2023, la durée moyenne du congé de maternité rémunéré hors Québec a été de 14,6 semaines, et la durée moyenne du congé parental des nouvelles mères a été de 32,7 semaines (ce chiffre exclut celles qui ont opté pour le partage). CAEC, 2024, p. 171.. Ce niveau de soutien est pour le moins modeste et se situe bien en-deçà du seuil de pauvreté officiel du Canada (48 583 $)84La mesure du panier de consommation (MPC) est basée sur le coût d’un panier spécifique de biens et de services représentant un niveau de vie de base modeste pour une famille de référence composée de deux adultes et de deux enfants à charge. Cette estimation représente la moyenne des 53 régions. et de la mesure de faible revenu après impôt pour une famille de quatre personnes (57 726 $) pour 2022.

Par contraste, la même année, les mères québécoises ont reçu en moyenne 832 $ par semaine en prestations de maternité et 620 $ par semaine en prestations parentales. Les pères et les deuxièmes parents ont reçu en moyenne 505 $ en prestations de congé de paternité désigné85CAEC, 2024; Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2022, Statistiques officielles sur les prestataires du Régime québécois d’assurance parentale, Décembre 2022.. Ces taux de remplacement du revenu plus élevés font une différence significative. La prestation de maternité moyenne est 1,5 fois plus élevée au Québec que dans le reste du Canada, et la durée du congé disponible est un peu plus longue (18 semaines contre 15). En 2022, les nouvelles mères du Québec ont reçu en moyenne 14 555 $ en prestations de maternité, soit près de deux fois plus qu’ailleurs au Canada.

Les prestations parentales du RQAP sont plus généreuses que celles offertes dans le reste du Canada, mais dans une moindre mesure. La durée moyenne du congé parental est légèrement plus courte pour les mères québécoises, en raison des différences de structure entre les deux programmes (régime standard et régime de base). En moyenne, les mères ont reçu environ 18 000 $ en prestations parentales au Québec, contre 17 700 $ dans le reste du Canada.

Un taux de remplacement du revenu plus élevé représente un avantage immédiat pour les parents de jeunes enfants, car il compense la baisse prévisible du revenu du ménage. En 2021, au Canada, plus de la moitié des parents de jeunes enfants ont déclaré avoir subi une baisse de leur revenu mensuel pendant leur congé de maternité ou parental. En effet, en dehors du Québec, plus d’un parent sur cinq (22,2 %) a vu son revenu diminuer de 2 000 $ ou plus, alors qu’il n’y a eu qu’un parent sur 10 dans cette situation au Québec. Ces chiffres surestiment la générosité du programme d’AE, car en 2021, un taux minimum de prestations de 500 $ par semaine a été en vigueur pendant une partie de l’année—cet aspect sera abordé plus loin.

Un taux de remplacement du revenu élevé est également important pour encourager l’utilisation du congé parental—et c’est là un autre aspect crucial dont il faut tenir compte si l’on veut se donner une politique efficace en matière de congé parental. Des études menées en Europe ont révélé qu’un taux de remplacement du revenu plus élevé (c’est-à-dire d’au moins 70 %) est essentiel pour encourager une plus grande participation, en particulier chez les pères. Les quotas non transférables, de type « à prendre ou à laisser », ont également démontré leur efficacité dans des pays comme la Norvège, ainsi qu’au Québec86Peter Moss et Fred Devon, 2019, « Leave Policies in Europe: Current Policies, Future Directions », International Journal of Sociology and Social Policy 40 (5/6): 429-40. Cité dans Doucet, Mathieu et McKay, 2020..

Comme indiqué précédemment, un supplément familial est octroyé à tous les prestataires d’AE ayant des enfants avec un revenu du ménage inférieur à 25 921 $ par année. En 2022-2023, ces prestataires, dont la grande majorité étaient des femmes à faible revenu, ont reçu en moyenne 45 $ de supplément par semaine, pour une prestation hebdomadaire moyenne totale de 408 $—soit nettement moins que la prestation de maternité moyenne (541 $). Le supplément, qui est un programme très ciblé et complexe de l’AE, n’a été appliqué qu’à 2,4 % (ou 46 000) de l’ensemble des demandes de prestations régulières et spéciales d’AE en 2022-202387Commission de l’assurance-emploi du Canada (CAEC), 2024, p. 49.. À son plus haut, en 2000-2001, ce taux s’établissait à 10,7 % de l’ensemble des demandes, mais la proportion de prestataires ayant eu droit au supplément familial a diminué de façon constante depuis plus de deux décennies, en raison de l’érosion de la valeur du seuil de revenu. En 2021, moins du tiers des prestataires à faible revenu ayant des enfants (30,7 %) ont obtenu le supplément, contre 61 % en 200788Une étude du supplément familial réalisée par Emploi et Développement social Canada a estimé que la part des demandes d’assurance-emploi admissibles au supplément familial aurait été supérieure de 2,9 points de pourcentage pour les demandes enregistrées en 2022 si les seuils annuels de revenu familial net avaient été ajustés annuellement pour tenir compte de l’inflation. En particulier, la proportion de prestataires à faible revenu ayant des enfants aurait été deux fois plus élevée en 2021 (61,8 %). Emploi et Développement social Canada, 2024, Supplément au revenu familial de l’assurance-emploi. Cité dans CAEC, 2024, p. 49..

Le Québec vient d’élargir son programme de supplément familial en relevant considérablement son seuil de revenu et en instaurant une indexation annuelle pour tenir compte de l’inflation. Les personnes admissibles peuvent maintenant recevoir jusqu’à 85 % ou 100 % de leur revenu hebdomadaire moyen, selon le régime choisi. En 2023, les bénéficiaires du congé parental avaient droit à 244 $ (ou 61 $ par semaine), comparativement à 182 $ (ou 45 $ par semaine) en 2020, avant l’entrée en vigueur de la réforme. Le seuil de revenu plus élevé a également élargi le groupe de bénéficiaires admissibles, qui est passé de 3 599 en 2020 à 9 580 en 2023. Leur part du total des demandes de prestations du RQAP est également passée de 4,9 % à 12,3 % en l’espace de trois petites années89Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2023, Statistiques officielles sur les prestataires du Régime québécois d’assurance parentale, Décembre 2023; Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2020, Statistiques officielles sur les prestataires du Régime québécois d’assurance parentale, Décembre 2020..

La réforme du RQAP en 2021 n’a fait qu’accentuer les lacunes du système fédéral de congé parental de l’AE, tant en termes de conception que de niveau de soutien offert. L’écart considérable entre les deux systèmes de congé parental du Canada s’est encore creusé.

Le taux de remplacement du revenu de l’AE est également bien inférieur aux normes internationales. Pour le congé de maternité, la norme internationale établie par la Convention de l’OIT sur la protection de la maternité est d’au moins 14 semaines, avec un maintien d’au moins les deux tiers du salaire. Parmi les pays de l’OCDE, seuls l’Irlande et le Royaume-Uni ont un taux moyen de prestation de maternité inférieur à celui du Canada90Le « taux de paiement moyen » correspond à la proportion de la rémunération antérieure remplacée par la prestation pendant la durée du congé payé pour une personne à temps plein gagnant 100 % du salaire national moyen.. Leurs taux de remplacement sont de 22,6 % et 30 % du salaire brut en moyenne, tandis que celui du Canada est de 34,8 % (35e sur 37 pays pairs)91OCDE, 2024, PF2.1. Parental leave systems, Base de données de l’OCDE sur la famille (mise à jour en février 2024). Les chiffres de l’OCDE évaluent le palier fédéral uniquement et ne tiennent pas compte des prestations versées dans le cadre du RQAP..

Pour le congé parental, le taux de paiement moyen de l’AE est légèrement plus élevé, à 39,4 % (pour les mères comme pour les pères ou les deuxièmes parents), ce qui place le Canada au 19e rang sur les 27 pays pairs qui offrent un congé parental. Cette aide reste insuffisante : la plupart des pays de l’OCDE versent des prestations qui remplacent plus de 50 % des revenus antérieurs de la mère (en tenant compte du congé de maternité et du congé parental).

Les congés payés réservés aux pères ou aux deuxièmes parents sont généralement beaucoup plus courts que ceux accordés aux mères. En moyenne, les pays de l’OCDE offrent un peu moins de 13 semaines de congé payé aux pères, que ce soit sous la forme d’un congé de paternité, d’un congé parental ou d’un congé de garde à domicile. Le nouveau congé parental « à prendre ou à laisser » du programme fédéral d’AE est d’une durée de cinq semaines et remplace 39,4 % du salaire brut. En termes de remplacement du revenu, le Canada se classe au 29e rang parmi 35 pays pairs92Parmi les pays qui offrent au moins un mois de congé, les taux de paiement les plus élevés se trouvent en Norvège—où les paiements remplacent presque entièrement le revenu brut moyen pendant le congé parental—et en Espagne, où les pères ont droit à un salaire complet pendant leurs 16 semaines de congé de paternité payé..

Bien qu’il dépasse la norme de l’OIT en matière de « salaire de maternité », le régime québécois n’offre pas, lui non plus, une rémunération complète du congé (c’est-à-dire à 100 % du salaire antérieur), contrairement à des pays comme l’Estonie et la Slovénie. Selon l’UNICEF, un taux de remplacement du revenu d’au moins 80 % est nécessaire pour répondre aux besoins essentiels de l’enfant et encourager le père ou les deuxièmes parents à prendre congé93UNICEF, 2024, p. 6.,94Generation Squeeze a également recommandé de sortir le congé parental du programme d’AE, de porter l’actuel taux de remplacement du revenu à 80 %, d’augmenter le plafond de la rémunération assurable à 68 000 $ et de prévoir du temps de congé pour les deux parents, en accordant une durée égale aux parents célibataires. Voir New policy solutions for families.. Au cours des quatre prochaines années, les fonds de la caisse d’assurance parentale de la province devraient dépasser les 900 millions de dollars95Flavie Sauvageau, 17 juin 2024, « Que fera Québec avec les centaines de millions de surplus du RQAP? », Radio Canada.. D’autres augmentations du taux de remplacement du revenu et une plus grande flexibilité pourraient bien être à l’ordre du jour lorsque la province envisagera les prochaines étapes96Pour des idées, voir Sophie Mathieu, 2024, « Que devrait faire le Québec avec 900 millions $ en congés parentaux inutilisés? », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques..

Supplément versé par l’employeur

Le versement par l’employeur d’un supplément aux prestations d’AE (ou du RQAP) peut constituer une autre source de revenu potentielle pour certains nouveaux parents. Pour être admissibles à un supplément, les travailleuses et travailleurs doivent d’abord être admissibles à l’AE ou au RQAP. Comme le supplément n’est pas une obligation légale, son niveau et sa durée varient considérablement d’un employeur à l’autre, en fonction de la situation géographique, de la taille de l’entreprise et de sa couverture syndicale.

En 2022, plus de la moitié des parents de 20 à 49 ans qui avaient travaillé au cours des deux années précédentes ont eu droit à un supplément aux prestations de maternité ou parentales de la part de leur employeur97Un sondage réalisé en 2021 auprès des employeurs a produit des résultats similaires. Plus de la moitié (58 %) des employeurs offrent un supplément aux prestations de maternité, mais seulement 33 % aux prestations parentales. Voir La rédaction, 7 octobre 2021, « More Canadian employers topping up maternity leave benefits than parental leave benefits: survey », Benefits Canada.. Le taux d’accès au supplément a été légèrement plus élevé chez les femmes (55,7 %) que chez les hommes (51,8 %)98Statistique Canada, 13 juin 2023, « Congé parental, 1997 à 2002 », Qualité de l’emploi au Canada, no 14280001 au catalogue.. Il existe également des différences significatives d’accès entre les personnes ayant un emploi permanent et celles ayant un emploi atypique (contrat à durée déterminée, emploi saisonnier, occasionnel ou intérimaire, ou travail autonome)99Statistique Canada, 22 mars 2021, « Aspects de la qualité de l’emploi au Canada, février et mars 2020 », Le Quotidien..

Le nombre réel de travailleuses et de travailleurs ayant reçu des prestations complémentaires est, comme on pouvait s’y attendre, plus faible. Selon l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi (ECAE) de 2019, seules 30 % des mères ayant un enfant de moins de 12 mois et ayant occupé un emploi salarié au cours des deux années précédentes ont bénéficié d’un supplément de la part de leur employeur, soit une augmentation de quatre points de pourcentage par rapport à 2009100Youjin Choi, 2023a, « La probabilité et le moment du retour au travail des mères après un congé parental », Rapports économiques et sociaux, Statistique Canada, no 36-28-0001 au catalogue, p. 10..

Notre propre analyse des données de l’ECAE suggère qu’il y a eu une augmentation de ces chiffres après la pandémie. En 2021, quatre parents sur 10 d’enfants âgés de 0 à 18 mois, en grande majorité des mères, ont reçu ou s’attendaient à recevoir un supplément de l’employeur, soit 37 % au Québec et 41 % dans le reste du Canada101Selon les données de l’ECAE de 2022, 43,9 % des parents ayant un enfant âgé de 18 mois ou moins et vivant à l’extérieur du Québec ont reçu de leur employeur un supplément aux prestations d’AE. CAEC, 2024, p. 166.. Le taux de réception d’un supplément a été six fois plus élevé chez les parents à revenu élevé que chez les parents à faible revenu.

La pandémie de COVID-19 et le congé parental au Canada

L’évolution de l’accès au congé parental payé au Canada a été alimentée en grande partie par le Québec. Avec le lancement du Régime québécois d’assurance parentale en 2006, l’accès au congé s’est considérablement élargi : le taux de couverture est supérieur à 80 % et les parents admissibles ont maintenant accès à plus de 90 % des semaines offertes. L’élargissement du congé parental du programme fédéral d’AE en 2001 a stimulé la participation dans un premier temps, mais il n’y a eu que peu de changement entre 2005 et 2018, date à laquelle le gouvernement fédéral a instauré la prestation parentale partagée pour encourager les pères et les deuxièmes parents à prendre congé.

Le statu quo a été rompu en 2020, lorsque le coronavirus s’est répandu dans tout le pays, mettant à l’épreuve la totalité des particuliers et des familles, en même temps que les systèmes de soutien du Canada, dont l’assurance-emploi, qui n’a pas réussi l’épreuve. Au plus fort de la crise, près de cinq millions de personnes avaient perdu leur emploi ou travaillaient à temps réduit. Les travailleuses et travailleurs à bas salaire, principalement des femmes, des jeunes, des nouveaux arrivants et des personnes racisées, ont subi la plus grande part de ces pertes102David Macdonald, 2020, Canada’s job losses reach Great Depression levels, Centre canadien de politiques alternatives. et la reprise a été encore plus dure pour eux, en raison des fermetures d’entreprises récurrentes et de l’augmentation massive du travail de soins non rémunéré103Katherine Scott, 2021, Women, work and COVID-19: Priorities for supporting women and the economy, Centre canadien de politiques alternatives.. En résumé, ce sont les personnes les moins bien armées pour faire face à la crise économique qui en ont le plus souffert. Un grand nombre de femmes ont fini par réduire leurs heures de travail ou par quitter complètement leur emploi rémunéré, sacrifiant ainsi leur sécurité financière et celle de leur famille104Dawn Desjardins et Carrie Freestone, 19 novembre 2020, « Canadian women continue to exit the labour force », RBC Economics; Sylvia Fuller et Yue Qian, 2021, « Covid-19 and The Gender Gap in Employment Among Parents of Young Children in Canada », Gender & Society 35(2), 206-217..

Il est immédiatement apparu que le système d’assurance-emploi du Canada n’était pas apte à aider les millions de Canadiennes et de Canadiens dans le besoin. Le programme d’AE, tel qu’il était structuré, n’était pas en mesure de fournir l’aide indispensable à toutes les personnes confrontées à des pertes économiques, ni de traiter l’afflux des demandes de prestations. Avant la pandémie, l’assurance couvrait en théorie autour de 80 % de la population active canadienne, mais indemnisait moins de la moitié des chômeuses et chômeurs105Avant la pandémie, le système d’AE excluait déjà de nombreux chômeurs canadiens : seuls 33 % des femmes et 38 % des hommes au chômage ont reçu des prestations d’AE en 2018. Voir David MacDonald, 2020, COVID-19 and the Canadian Workforce Reforming EI to Protect More Workers, Centre canadien de politiques alternatives, p. 9.. Confronté à la pandémie, le système aurait exclu celles et ceux qui en avaient le plus besoin, dont les jeunes familles.

Le gouvernement fédéral est rapidement intervenu afin d’élargir les mesures d’aide, en instaurant la Prestation canadienne d’urgence (PCU), une allocation en espèces de 2 000 $ par période de quatre semaines destinée aux personnes qui ne pouvaient pas travailler en raison d’une maladie, d’une mise à pied ou de leur charge familiale. « Contrairement à l’AE, la PCU n’était pas basée sur des cotisations antérieures ou un nombre d’heures assurables de travail; elle exigeait plutôt un seuil uniforme de seulement 5 000 $ de revenu de travail en 2019 ou au cours des 12 mois précédant la demande »106Jennifer Robson, 2020, « Radical Incrementalism and Trust in the Citizen: Income Security in Canada in the Time of Covid-19 », Canadian Public Policy/Analyse de politique 46 (S1), p. S6-7 (traduction libre)., y compris le revenu provenant d’un travail autonome ou de prestations parentales, soit une approche comparable à celle du RQAP. Les critères d’admissibilité à la PCU ont ensuite été élargis aux personnes gagnant moins de 1 000 $ sur une période de quatre semaines, ce qui a permis d’atteindre de nombreuses travailleuses à bas salaire en situation d’emploi précaire qui n’avaient pas accès à d’autres sources de soutien financier107« Les travailleurs ayant des gains annuels relativement faibles étaient les plus susceptibles de recevoir des paiements de la PCU en 2020. Parmi tous les travailleurs qui ont gagné au moins 5 000 $ en 2019 et qui se situaient dans le palier inférieur de 10 % de la répartition du revenu d’emploi, plus de la moitié (55,3 %) ont reçu des paiements de la PCU en 2020. » René Morissette, Martin Turcotte, André Bernard et Eric Olson, 2021, “Travailleurs recevant des paiements du programme de la Prestation canadienne d’urgence en 2020”, StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 48-28-0001 au catalogue.. La PCU et les autres mesures fédérales de soutien du revenu en temps de pandémie ont plus que contrebalancé l’escalade vertigineuse de la pauvreté et de la précarité qui se serait produite autrement108Statistique Canada, 13 juillet 2022, « Les prestations reçues durant la pandémie amortissent les pertes des travailleurs à faible revenu et rétrécissent l’inégalité du revenu—le revenu après impôt grimpe dans tout le Canada sauf en Alberta et à Terre-Neuve-et-Labrador », Le Quotidien..

Les futurs parents se sont tout de suite inquiétés de ne pas avoir assez d’heures pour bénéficier d’une aide financière pour traverser cette période très incertaine et difficile. La venue au monde d’un enfant est toujours une expérience chargée d’émotions, et c’était d’autant plus vrai dans un contexte de craintes et d’anxiété accrues par l’impact potentiellement durable de la COVID-19. En réalité, durant les premiers mois de la pandémie, la PCU a été une bouée de sauvetage financière immédiate pour de nombreux parents (mais pas tous) qui n’auraient pas été admissibles aux prestations parentales de l’AE. Puis, en août 2020, le gouvernement fédéral a annoncé l’élimination progressive de la PCU et son remplacement par une série de réformes temporaires du programme d’AE et l’instauration d’une nouvel ensemble de prestations de pandémie, afin de soutenir les Canadiennes et les Canadiens alors que la pandémie se prolongeait. La mesure phare de cette réforme a été la diminution significative du seuil d’admissibilité, qui est passé de 600 à 120 heures d’emploi assurable. Tous les demandeurs de prestations spéciales ont bénéficié d’un crédit unique de 480 heures, avec effet rétroactif au 15 mars, « compte tenu du fait que les conditions du marché du travail demeurent incertaines et prendront du temps à se stabiliser »109Emploi et Développement social Canada, 2020, Aider les Canadiens au cours de la prochaine étape de la reprise économique : accès accru à l’assurance-emploi et prestations de la relance économique, document d’information.. Dans la continuité du soutien apporté par la PCU, le montant minimum de prestation a été fixé à 500 $ par semaine (ou 300 $ par semaine pour la prestation parentale étendue) et le délai de carence d’une semaine a été supprimé.

Les mesures temporaires ont été mises en place pour un an, du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021, date à laquelle elles ont été remplacées par une deuxième série de mesures qui a fixé le seuil d’admissibilité à 420 heures pour l’année suivante. Le taux minimum de prestation a également été abaissé, passant de 500 $ à 300 $ par semaine (ou 180 $ par semaine pour les prestations parentales prolongées) pour les demandes déposées entre le 26 septembre 2021 et le 20 novembre 2021. Le 25 septembre 2022, le gouvernement du Canada a rétabli les règles d’avant la pandémie, ramenant le seuil d’admissibilité à 600 heures de travail assuré, comme en 2000.

La crise économique déclenchée par la pandémie a révélé tout le potentiel d’un système de soutien aux parents plus inclusif. Les données administratives de la Commission de l’assurance-emploi du Canada montrent que le nombre de demandes de prestations de maternité et parentales a considérablement augmenté entre la première et la seconde moitié de l’exercice 2020-2021110Les demandes de congé de maternité ont augmenté de 18 250 (24,6 %) et les demandes de congé parental de 17 180 (17,5 %) entre ces deux semestres. CAEC, 2024, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi, 2022-2023; CAEC, 2023, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi, 2021-2022; CAEC, 2022, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi, 2020-2021., alors même que le nombre de naissances vivantes diminuait. En effet, comme le montre la figure 6, le nombre de demandes de prestations de maternité et parentales est resté pratiquement inchangé entre 2019-2020 et 2020-2021, l’augmentation des derniers mois de l’année ayant compensé la baisse du premier semestre. Mais en 2021-2022, les demandes de prestations de maternité et parentales ont augmenté de 10 000 (6 %) et 28 800 (13,5 %) respectivement, avant de chuter brutalement l’année suivante.

Il est également intéressant de noter qu’il y a eu une augmentation marquée du nombre de travailleuses demandant des prestations régulières d’AE. En janvier 2021, près de la moitié (48,3 %) des 1,5 million de bénéficiaires de ces prestations régulières étaient des femmes, soit cinq fois plus qu’en janvier 2020, ce qui représente une hausse de 12 points de pourcentage en l’espace d’un an111Cette évolution résulte à la fois de la surreprésentation des femmes dans les secteurs les plus touchés et de l’assouplissement des règles d’admissibilité. Statistique Canada, Tableau 14-10-0011-01 – Prestataires d’assurance-emploi (prestations régulières) par province et territoire, données mensuelles désaisonnalisées.. Cette augmentation témoigne de l’ampleur de la crise économique et de son impact sur les secteurs de la population active à majorité féminine, mais aussi des changements apportés aux règles de l’AE afin d’en élargir la couverture.

À l’époque, les spéculations concernant l’impact de la pandémie sur la fécondité allaient bon train. Le Canada, à l’instar de nombreux autres pays à revenu élevé, a effectivement enregistré une forte baisse du nombre de naissances en janvier 2021 par rapport aux années précédentes. Cependant, comme le notent Claudine Provencher et Nora Galbraith, « après la forte baisse de janvier 2021, le nombre de naissances s’est rapidement redressé au cours des mois restants de l’année. Cette reprise du nombre mensuel de naissances a été forte et soutenue jusqu’en février 2022, moment auquel les naissances ont de nouveau affiché une forte baisse d’une année à l’autre pendant le reste de l’année 2022 »112Claudine Provencher et Nora Galbraith, 2024..

On sait que les grands chocs économiques et sociaux, tels que les urgences sanitaires et les récessions, influencent la décision de fonder une famille. Pendant la pandémie, au Canada comme ailleurs, de nombreuses personnes qui y songeaient ont décidé de remettre ce projet à plus tard113Ana Fostik et Nora Galbraith, 2021, « Changements dans les intentions d’avoir des enfants en réponse à la pandémie de COVID-19 », StatCan et la COVID-19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, Statistique Canada, no 48-28-0001 au catalogue.. Bien entendu, la décision d’avoir un enfant est influencée par de nombreux facteurs, notamment les objectifs personnels, la sécurité économique et la présence d’un soutien social de la part de la famille et de la communauté au sens large. Sur ce dernier point, la pandémie a révélé de manière frappante le rôle essentiel que le filet de sécurité sociale joue, ou qu’il échoue à jouer, en temps de crise.

Face à la portée et à l’ampleur de la crise dans le système de santé et de soutien, tous les gouvernements du pays ont été complètement dépassés, alors que des millions de femmes se sont retrouvées à devoir assumer la charge des soins et des besoins éducatifs de leur famille, dans un contexte de fermetures récurrentes dues à la situation sanitaire. Nombre d’entre elles y ont non seulement perdu leur revenu, mais elles ont également dû se battre pour avoir accès aux produits de première nécessité et aux soutiens familiaux et communautaires dont elles avaient besoin114Katherine Scott, 2021.. Les femmes marginalisées, notamment en situation de handicap, monoparentales, immigrées et en situation d’emploi précaire, ont été confrontées aux obstacles les plus importants115Par exemple, voir The Current, 2022, « Juggling child care and work, single moms were ‘off the radar’ in pandemic. Some say they’re still struggling », CBC; et Naomi Lightman, 2022, « Caring during the COVID-19 crisis: Intersectional exclusion of immigrant women health care aides in Canadian long-term care », Health and Social Care in the Community 30(4) : e1343-e1351.. Les gouvernements se sont en fait « déchargés des responsabilités de soins sur les femmes sans reconnaître leur contribution et sans les soutenir »—ce qui ne donne pas vraiment envie d’être parent116Julia Smith, 2021, « From “nobody’s clapping for us” to “bad moms”: COVID-19 and the circle of childcare in Canada », Gender, Work & Organization, 1-15..

En même temps, on peut affirmer qu’un système de congé parental fédéral temporairement plus inclusif a contribué à soutenir le modeste rebond du taux de fécondité en 2021117Le taux de fécondité du Canada est passé de 1,47 enfant par femme en 2019 à un creux sans précédent de 1,40 enfant par femme l’année suivante. Puis, il a chuté abruptement à 1,33 en 2022, pour finalement atteindre 1,26 en 2023, son niveau le plus bas jamais enregistré. Le Canada a connu l’une des plus fortes baisses de fécondité postpandémique parmi ses pairs. Fostik et Galbraith, 2024. Pour une synthèse de la littérature sur le lien entre le congé parental et la fécondité, voir Jac Thomas et al., 2022, « The effect of leave policies on increasing fertility: A systematic review », Humanities and Social Sciences Communications 9, 262.. (On peut aussi supposer que le retour aux règles antérieures à la pandémie a joué un rôle dans la chute brutale du taux de fécondité en 2022, lorsque la crise inflationniste s’est installée.)

Il est tout aussi important de noter que ces changements temporaires ont renforcé la sécurité financière des jeunes familles à un moment de grande tension économique, contribuant à une forte reprise de l’emploi en 2021 et 2022 qui a stimulé les opportunités économiques des travailleuses et des travailleurs, y compris de celles et ceux qui ont toujours été confrontés à des obstacles à l’emploi, ainsi que des femmes ayant des responsabilités de prestation de soins118Katherine Scott, 2024, Work in progress: Women in Canada’s changing post-pandemic labour market, Centre canadien de politiques alternatives..

Les recherches menées par Emploi et Développement social Canada ont révélé que les deux séries de mesures temporaires de l’AE ont élargi l’admissibilité aux prestations et augmenté le niveau de soutien du revenu offert aux prestataires par rapport à ce qui aurait été offert si aucun changement n’avait été apporté. Au cours de la première série de mesures temporaires de l’AE (du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021), lorsque l’admissibilité a été fixée à 120 heures, 9,6 % des demandeurs de prestations spéciales n’auraient pas pu être admissibles s’il n’y avait pas eu les mesures temporaires. Un peu plus de la moitié (53,7 %) ont bénéficié d’un taux de prestation hebdomadaire plus élevé que celui qu’ils auraient reçu sous l’ancien système. Ceux qui ont bénéficié du taux minimum temporaire de prestation hebdomadaire de 500 $ (300 $ pour les prestations parentales prolongées) ont reçu, en moyenne, 168 $ de plus par semaine. Au cours de la deuxième série de mesures temporaires de l’AE (du 26 septembre 2021 au 24 septembre 2022), lorsque l’admissibilité a été fixée à 420 heures, 5,2 % des demandeurs de prestations spéciales n’auraient pas pu être admissibles s’il n’y avait pas eu les mesures temporaires. En outre, un demandeur sur 10 (9 %) a bénéficié de la mesure relative au taux minimum de prestation hebdomadaire de 300 $, touchant en moyenne 67 $ de plus par semaine119Voir Direction de la politique de l’assurance-emploi, EDSC, 2024, Impacts des mesures temporaires de l’assurance-emploi durant la pandémie : mise à jour et nouveaux résultats. Cité dans CAEC, 2024, p. 41..

De même, les données de l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi (ECAE) montrent que les règles d’admissibilité plus inclusives ont permis d’élargir la portée du programme entre 2019 et 2021. En 2021, 77,5 % des nouveaux parents ayant un enfant âgé de 18 mois ou moins ont reçu des prestations de maternité ou parentales à la naissance de leur enfant, dont 87,7 % au Québec et 74 % dans le reste du Canada. Cela représente une augmentation significative de la couverture pour les parents hors Québec. Comme l’indique la figure 7, la proportion de ces parents touchant des prestations en 2019 a bondi de 8,8 points de pourcentage pour atteindre 74 % en 2021, sous l’effet conjugué de la hausse de l’emploi et de la baisse de la proportion de parents exclus en raison d’un nombre d’heures insuffisant. Le taux de couverture des nouvelles mères a été particulièrement élevé en Colombie-Britannique (78,8 %) et dans les provinces de l’Atlantique (77,7 %), par rapport au point de référence du reste du Canada (74 %). L’Alberta a enregistré le taux de couverture le plus faible chez les nouvelles mères (64 %), ce qui correspond au taux d’emploi relativement faible des mères de jeunes enfants.

De même, dans les provinces autres que le Québec, la proportion des conjoints qui ont demandé ou avaient l’intention de demander des prestations de paternité ou parentales a augmenté entre 2019 et 2021, passant de 20,6 % à 26,8 %120Ces chiffres sont basés sur la population totale des parents d’enfants âgés de 18 mois ou moins interrogés dans le cadre de l’ECAE.. C’est en Colombie-Britannique que le taux de participation des conjoints a été le plus élevé, à 39,3 % en 2021, soit trois fois plus qu’en Alberta, à 13,5 %. Là encore, des règles d’admissibilité plus inclusives et des mesures d’incitation à la prise de congé ont joué leur rôle. Selon Statistique Canada, le nombre de conjoints qui ont demandé ou avaient l’intention de demander des prestations parentales a continué à augmenter régulièrement en 2022 et 2023, réduisant ainsi l’écart de participation avec les mères121En 2023, au Québec, 80,2 % des conjoints ou partenaires ayant un emploi assuré ont demandé ou avaient l’intention de demander des prestations de paternité ou parentales du RQAP, ce qui représente une hausse par rapport aux 76,6 % de 2021 (année la plus faible pour le Québec). Dans les provinces autres que le Québec, le chiffre comparable s’établit à 39,3 % des conjoints ou partenaires, soit une augmentation de près de 10 points de pourcentage par rapport à 2021. Statistique Canada, 30 octobre 2024, « Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi, 2023 », Le Quotidien..

Le succès de l’élargissement de la portée du système fédéral de congé parental en 2021 est largement attribuable à l’augmentation de la participation des familles à faible revenu, ce qui réduit l’écart entre le « congé parental de riche » et le « congé parental de pauvre », comme l’ont décrit Lindsey McKay, Sophie Mathieu et Andrea Doucet122McKay, Mathieu et Doucet font référence à Margaret O’Brien, 2009, qui a utilisé les termes « riche » et « pauvre » dans son étude du système de congé parental. Voir « Fathers, parental leave policies, and infant quality of life: International perspectives and policy impact », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 624(1): 190–213. Cité dans McKay, Mathieu et Doucet, 2016.. En 2019, 47,2 % des nouvelles mères appartenant au quartile de revenu inférieur (avec un salaire horaire de moins de 19,61 $) ont demandé des prestations de maternité et/ou parentales, contre 85,5 % des mères vivant dans des familles du quartile supérieur—un écart de 39 points de pourcentage. En 2021, le taux de couverture des parents du quartile inférieur était passé à 65,9 % et l’écart de couverture s’était réduit de 10 points.

Aucun changement n’a été constaté dans la couverture des parents situés dans les 50 % du milieu de l’échelle du revenu. Plus de 80 % de ces parents étaient admissibles et ont demandé des prestations en 2019 et 2021. En revanche, le taux de couverture des parents situés au sommet de l’échelle du revenu a augmenté, car un plus grand nombre de mères ayant des heures de travail assurables ont choisi de demander des prestations. Le taux de couverture des parents à revenu élevé, c’est-à-dire la grande majorité des mères, a presque atteint l’universalité en 2021, à 94,4 %. L’assouplissement des conditions d’admissibilité au congé parental fédéral a profité de manière disproportionnée aux familles à faible revenu et est venu réduire, sans toutefois l’égaliser, l’écart de revenu dans la distribution des prestations, comme le montre la figure 8. Les mères et conjoints des familles à revenu élevé demeurent plus susceptibles de demander des prestations que les mères et conjoints des familles à faible revenu123En 2021, un parent sur cinq (20,9 %) du quartile inférieur vivant à l’extérieur du Québec a indiqué que son partenaire avait demandé ou avait l’intention de demander des prestations parentales. En comparaison, plus du tiers (35,7 %) des parents du quartile supérieur ont indiqué que leur partenaire était dans le même cas. Au Québec, plus de la moitié des parents du quartile inférieur (51,6 %) ont indiqué que leur partenaire avait demandé des prestations, contre les deux tiers des parents du quartile supérieur (65,9 %). La couverture est bien meilleure au Québec, mais l’écart entre le haut et le bas de l’échelle des revenus persiste..

Nous constatons la même augmentation de la couverture du congé parental en 2021 chez les non-syndiqués, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec. Cette année-là, 79,8 % des nouveaux parents non syndiqués vivant dans le « reste du Canada » ont demandé des prestations parentales, soit une augmentation de 13,4 points de pourcentage, ce qui représente un progrès considérable pour réduire l’écart avec les parents syndiqués (82,5 %). Au Québec, 91,5 % des parents non syndiqués ont demandé des prestations, soit une augmentation de 4,5 points de pourcentage par rapport à 2019.

De même, sous les nouvelles règles de l’AE, la couverture des travailleuses et travailleurs sans emploi permanent a fait un bond entre 2019 et 2021, passant de 43,3 % à 60,3 %. Celle des parents immigrés a également augmenté d’environ 15 points de pourcentage, passant de 53,2 % à 67,9 %. La reprise de 2021 a apporté de nouvelles perspectives d’emploi aux groupes historiquement marginalisés et a élargi l’accès à des mesures de soutien essentielles telles que le congé parental.

L’année 2021 pourrait bien s’avérer un point culminant pour la couverture du congé parental, d’ici l’avènement d’une réforme de l’AE ou la création d’un programme autonome comme celui du Québec. En 2020 et 2021, des appels soutenus ont été lancés pour mieux reconstruire, afin de renforcer le système public de santé, les normes du travail et le filet de sécurité sociale du Canada pour préparer le pays aux crises de demain. Ces appels sont restés lettre morte. Un nouveau programme pour les parents adoptifs est en cours d’instauration, mais l’architecture sous-jacente du système de congé parental de l’AE est restée telle quelle.

Depuis, l’économie s’est affaiblie, la Banque du Canada ayant mené une campagne agressive de hausse des taux d’intérêt pour mater l’inflation. Les emplois sont en forte baisse dans une grande variété de secteurs, tandis que le chômage progresse dans un contexte de croissance démographique rapide124Statistique Canada, Tableau 14-10-0287-01—Caractéristiques de la population active, données mensuelles désaisonnalisées et la tendance-cycle, 5 derniers mois.. Les jeunes et les nouveaux arrivants subissent de plein fouet les effets du ralentissement économique, se disputant un nombre limité d’emplois non seulement entre eux, mais aussi avec leurs homologues plus âgés et plus expérimentés. La concurrence intense sur le marché du travail à bas salaire maintient les salaires au plus bas et exacerbe considérablement les inquiétudes économiques. Au cours des deux dernières années, la proportion de Canadiennes et de Canadiens déclarant qu’il est « difficile ou très difficile » de subvenir à leurs besoins financiers a bondi pour atteindre 33 %125Statistique Canada, 3 novembre 2023, Enquête sur la population active, octobre 2023, Le Quotidien..

Le rétablissement de l’ancien seuil d’admissibilité plus strict aux prestations d’AE, incluant les prestations parentales, a donné lieu à une baisse prévisible du taux de couverture chez les parents hors Québec. Selon l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi de 2023, le taux de couverture des parents de jeunes enfants a diminué de cinq points de pourcentage depuis 2021, pour s’établir à 69 %. Le niveau de couverture demeure plus élevé qu’avant la pandémie (65,2 %), mais si la situation de l’emploi continue de se détériorer, il apparaît probable qu’un grand nombre de jeunes familles se retrouveront privées de l’accès à un soutien financier crucial pour subvenir aux besoins de leurs jeunes enfants.

C’est bon pour les parents et les enfants. C’est bon pour l’économie et la société.

Un congé parental payé inclusif et généreux comporte une myriade d’avantages. Avec les prestations pour enfants et les services de garde de qualité sans but lucratif, il fait partie du « tiercé de la politique de l’enfance » que propose UNICEF Canada126UNICEF Canada, 2024, p. 8. pour créer des conditions qui permettent aux enfants de prendre un bon départ dans la vie.

Avant toute chose, le congé parental payé est bénéfique pour la santé du nourrisson et de sa mère. Il procure aux parents du temps pour tisser des liens avec leur nouveau-né et répondre à ses besoins de santé et de développement durant cette période déterminante qui aura une incidence sur le reste de sa vie. De nombreuses publications démontrent les nombreux avantages du congé parental payé pour les enfants, les mères et les familles127Ce bref résumé est basé sur les informations présentées dans les rapports d’UNICEF, 2019, Paid parental leave and family-friendly policies et UNICEF, 2019, Family-Friendly Policies. Redesigning the Workplace of the Future. A Policy Brief.. En voici quelques-uns.

  • Il a été démontré que le congé parental payé permettait de réduire le risque de naissance prématurée, la mortalité infantile, ainsi que la violence familiale et le stress aigu. Les systèmes de congé parental ont été associés à une baisse de 3 % du taux de mortalité infantile dans les pays à revenu élevé.
  • Les mères sont nettement plus susceptibles d’initier immédiatement l’allaitement, de pratiquer l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois et d’allaiter plus longtemps. Une augmentation d’un mois du congé parental payé pour la mère se traduit par une augmentation de plus de deux mois de l’allaitement.
  • Les nourrissons sont également beaucoup plus susceptibles d’être vaccinés et de bénéficier de bilans de santé réguliers.
  • Le père qui prend un congé de paternité participe davantage aux soins du nouveau-né et partage plus équitablement les tâches ménagères, ce qui contribue au bien-être de la mère et à l’établissement de relations familiales positives.
  • Les données suggèrent que l’effet bénéfique du congé parental sur le bien-être de l’enfant et des parents est surtout associé aux six premiers mois de la vie de l’enfant128Serena Canaan, Anne Sophie Lassen, Philip Rosenbaum et Herdis Steingrimsdottir, mars 2022, Maternity Leave and Paternity Leave: Evidence on the Economic Impact of Legislative Changes in High Income Countries, Institute of Labor Economics, IZA DP no 15129..

Le congé parental payé présente également des avantages économiques considérables pour les familles, les employeurs et l’ensemble de l’économie. Il permet d’éviter une baisse de revenu substantielle à un moment critique, d’augmenter les ressources financières disponibles pour s’occuper des jeunes enfants et de maintenir le lien entre les parents—en particulier les mères—et le marché de l’emploi.

  • Le congé parental payé a été associé à des effets positifs à court et à long terme sur le revenu familial. Dans les pays à revenu élevé, par exemple, chaque semaine additionnelle de congé parental payé est associée à une baisse de 4,2 % du risque de pauvreté de la mère célibataire.
  • L’accès au congé parental facilite également une plus grande égalité des hommes et des femmes dans la prise de décision au sein du ménage, mais aussi sur le marché du travail, et crée de meilleures perspectives économiques à long terme pour les femmes et les familles.
  • Le congé de maternité payé est associé à un salaire plus élevé et à un plus grand engagement de la mère sur le marché du travail après la naissance, comme cela a été démontré au Québec129Benoît Laplante, 2024, « Policy and Fertility, a Case Study of the Quebec Parental Insurance Plan », Population Research Policy Review 43(3):39..
  • Une politique plus généreuse en matière de congé parental est également associée à un risque plus faible de pauvreté pour les familles composées de deux parents ou d’une mère célibataire.
  • Le congé parental rémunéré contribue à la croissance économique globale en renforçant l’autonomie économique des femmes et en améliorant la compétitivité des entreprises130Il est également vrai que les congés plus longs ont souvent un effet négatif sur le salaire et l’emploi des mères. Celles qui réintègrent le marché du travail après une longue interruption sont plus nombreuses à travailler à temps partiel involontairement et déclarent généralement un revenu inférieur à celui qu’elles touchaient avant la naissance de leur enfant. L’inverse est également vrai : les mères qui n’ont pas bénéficié de congé payé sont moins susceptibles de retourner au travail..

Repenser le congé parental

Il est temps de repenser le système de congé parental afin que les prestations parentales soient considérées comme « un droit universel conféré par la citoyenneté, incluant le droit de donner des soins, mais aussi d’en recevoir », comme c’est le cas en Scandinavie131Linda Haas et Philip Hwang, 1999, « Parental Leave in Sweden », dans Parental Leave: Progress or Pitfall? Research and Policy Issues in Europe, Vol. 35, P. Moss et F. Deven (éd.), La Haye/Bruxelles : NIDI CBGS Publications, p. 49. Cité dans Doucet, Mathieu et McKay, 2020a, p. S277 (traduction libre).. Le système fédéral de congé parental vise à garantir le salaire des parents et à réduire les contraintes financières liées à la garde d’un nouvel enfant, de manière à préserver l’emploi de la mère et à favoriser un partage plus équitable des tâches de soins. Toutefois, dans sa forme actuelle, le programme présente de graves lacunes, car il génère et reproduit des disparités entre les parents à faible revenu, dont beaucoup travaillent dans des conditions d’emploi atypiques, et les parents à revenu plus élevé, qui ont un meilleur accès à diverses mesures de soutien, y compris aux suppléments versés par l’employeur.

Notre rapport s’est concentré sur deux aspects clés, à savoir les catégories de nouveaux parents qui ne satisfont pas aux conditions d’admissibilité de l’AE et les taux de remplacement du revenu comparativement très bas. L’un comme l’autre, ces aspects contribuent à faire baisser le taux de demande de prestations et à compromettre la sécurité économique des familles. Le Régime québécois d’assurance parentale a beaucoup mieux réussi à rejoindre un plus grand nombre de familles, en proposant des prestations plus avantageuses et en offrant une plus grande flexibilité pour la prise et le partage du congé parental. Le congé parental reste lié à une participation au marché du travail, mais le seuil d’admissibilité est très bas. Les réformes instaurées en 2021 ont encore amélioré les prestations offertes aux familles à faible revenu.

Les arguments en faveur du retrait des prestations spéciales du programme d’AE et de leur financement par les revenus généraux ne manquent pas. Le régime ainsi créé pourrait être conçu de manière à garantir l’accès universel à des prestations qui apporteraient un soutien significatif durant les premières années de vie de l’enfant. Le gouvernement libéral fédéral y avait fait allusion dans son programme électoral de 2019, en appelant à un nouveau « congé familial payé garanti » qui garantirait un soutien accru aux parents non admissibles à l’AE ou ne touchant que des prestations très modestes, éventuellement par l’intermédiaire de l’Allocation canadienne pour enfants132Parti Libéral du canada, 2019, Plus de temps et d’argent afin d’aider les familles à élever leurs enfants.. Il est grand temps que le Canada procède à une révision ambitieuse de son ensemble de politiques familiales.

Dans l’intervalle, il est impératif d’élargir les critères d’admissibilité et d’augmenter le niveau de l’aide financière. Les mesures temporaires instaurées en 2020 ont ouvert la voie à une approche différente et ont montré ce qu’un système plus inclusif pouvait accomplir en matière de congé parental et d’accès au congé d’aidant, en particulier pour les familles vulnérables133Eric Tucker et Leah Vosko, 2021, Designing Paid and Protected Employment Leaves for Short-Term Sickness and Caregiving, Institut de recherche en politiques publiques.. Une réforme allant en ce sens réduirait considérablement l’écart entre les ménages qui bénéficient d’un congé parental de riche et ceux qui n’ont accès qu’à un congé parental de pauvre, tout en renforçant la sécurité financière des nouveaux parents qui assument une charge de soins vitale dans une période économiquement très difficile134Voir Andrea Doucet, Sophie Mathieu, Lindsey McKay, 2020b, « Redesign parental leave system to enhance gender equality », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques..

La section suivante présente plusieurs recommandations visant à améliorer le système de congé parental de l’AE afin de le rendre plus équitable et efficace pour les familles ayant de jeunes enfants. Dans la mesure du possible, nous avons utilisé la Base de données et Modèle de simulation des politiques sociales (BD/MSPS) de Statistique135Notre analyse est basée sur la Base de données et Modèle de simulation de politique sociale, version 30.2 de Statistique Canada. Les hypothèses et les calculs qui sous-tendent la simulation ont été préparés par David Macdonald et la responsabilité de l’utilisation et de l’interprétation de ces données lui incombe entièrement. Canada pour évaluer l’impact et le coût des réformes proposées136Le système de congé parental quasi universel du Québec est notre point de départ pour évaluer l’évolution potentielle des comportements en réponse aux réformes proposées de l’AE. En utilisant les paramètres actuels de l’AE et du RQAP, nous avons calculé le ratio de la prestation hebdomadaire moyenne à chaque point de la distribution du revenu, puis nous avons utilisé les ratios ainsi obtenus pour estimer l’augmentation de la participation à des taux de remplacement du revenu plus élevés. Le nombre de semaines de participation est également ajusté à la hausse à mesure que l’AE se rapproche du niveau de prestations du RQAP. Cette étape n’affecte que les estimations des trois déciles inférieurs. (voir l’annexe A.4 pour en savoir plus sur notre méthodologie). Les résultats de la BD/MSPS sont basés sur une analyse de parents d’enfants de moins de 18 mois vivant à l’extérieur du Québec. Pour faciliter l’analyse, nous avons calculé un « équivalent standard » pour les 18 % de parents qui choisissent actuellement un congé parental prolongé137Pour ce faire, le nombre de semaines de prestations et de congé parental de l’AE est multiplié par 61/35, c’est-à-dire par la différence entre le nombre de semaines disponibles de congé parental prolongé et de congé parental standard.. Les chiffres ci-dessous représentent des projections pour l’année 2025.

Notre analyse s’appuie sur les données d’enquête et administratives disponibles. Il convient de noter qu’il subsiste d’importantes lacunes dans ce que nous savons à propos de l’utilisation du congé parental et des besoins des parents d’enfants en bas âge, en particulier chez les groupes marginalisés. Il est essentiel d’intensifier les efforts pour produire et diffuser des données désagrégées sur le congé parental et les autres programmes de soutien au revenu au Canada.

1. Augmenter le taux de remplacement du revenu et aligner le seuil du maximum de rémunération assurable sur celui du Régime québécois d’assurance parentale

Le niveau moyen de rémunération que le Canada verse pour le congé parental est très faible par rapport à ses pays pairs et nettement inférieur aux normes et standards internationaux. Le niveau de soutien offert aux nouveaux parents en dehors du Québec est très modeste. Un soutien financier inadéquat expose non seulement les familles au risque de tomber dans la pauvreté, mais dissuade également les parents de prendre un congé parental. L’augmentation du taux de remplacement du revenu aurait pour effet d’accroître considérablement la valeur de l’aide offerte et d’encourager une plus grande utilisation des prestations, en particulier chez les pères et les deuxièmes parents, comme le démontrent clairement les données du Québec et des pays dotés de programmes plus robustes.

Recommandation

Augmenter le taux de remplacement du revenu de l’AE pour le congé de maternité, le congé parental et le congé d’adoption de 55 % à 75 % (et de 33 % à 55% pour les parents qui choisissent le congé parental prolongé).

Notre analyse révèle, à titre d’exemple, que l’augmentation du taux de remplacement du revenu à 75 % pour l’année 2025 ferait passer la prestation moyenne de 526 $ (l’ancien taux) à 752 $ par semaine. Cela représenterait une augmentation considérable de plus de 40 %, soit une moyenne de 226 $ par bénéficiaire.

Étant donné que la valeur de la prestation parentale est plafonnée à un maximum de rémunération assurable de 64 700 $ en 2025, l’avantage lié à l’augmentation du taux de remplacement du revenu se répartirait de manière plutôt uniforme sur l’ensemble de l’échelle des revenus familiaux. Les parents du décile de revenu familial le plus bas, dont le revenu est inférieur à 45 319 $ par année, recevraient une prestation moyenne moins élevée (432 $ par semaine). Le montant de la prestation moyenne augmenterait ensuite nettement, d’environ 300 $ par semaine pour les parents des déciles plus élevés.

Un taux de remplacement du revenu plus élevé viendrait immédiatement renforcer la sécurité économique des familles ayant de nouveaux enfants. Parallèlement, il encouragerait une plus grande utilisation des prestations parentales. Nous estimons qu’une augmentation du taux de remplacement du revenu à 75 % inciterait 59 000 parents de plus, actuellement admissibles au programme, à demander des prestations, ce qui ferait passer le nombre de bénéficiaires de 302 000 à 360 000 (chiffres arrondis). Cette hausse serait particulièrement significative chez les parents de jeunes enfants appartenant au troisième décile de revenu familial (c’est-à-dire dont le revenu total se situe entre 64 000 $ et 85 000 $ par année) (voir la figure 10). Un taux de remplacement du revenu plus élevé constituerait une forte incitation à prendre un congé, en particulier pour ceux et celles qui ne peuvent pas se permettre de vivre avec 55 % d’un revenu familial modeste.

Un taux de remplacement du revenu plus élevé encouragerait également les parents à utiliser une plus grande partie des semaines de congé proposées, en particulier ceux du tiers inférieur de l’échelle des revenus familiaux, qui prennent généralement moins de semaines de congé que les familles à revenu moyen ou élevé. Avec un taux de remplacement du revenu de 75 %, nous pourrions nous attendre à ce que le parent moyen prenne 41,7 semaines de congé, soit une augmentation de 2,8 semaines par rapport à notre scénario de base pour 2025. Nous estimons que les parents des dixième, neuvième et huitième déciles augmenteraient la durée de leur congé de huit, 14 et six semaines, respectivement.

L’augmentation des prestations et de la durée du congé permettrait d’améliorer considérablement la situation financière des familles ayant un nouvel enfant. Le total des prestations augmenterait de manière significative, de 53,2 %, soit environ 11 000 $, pour passer d’une moyenne de 20 461 $ par bénéficiaire à 31 357 $. Les parents des trois déciles de revenu inférieurs bénéficieraient de la plus forte augmentation en valeur monétaire. Les parents du neuvième décile verraient leurs prestations presque doubler, pour atteindre 37 700 $, grâce à une participation accrue, à un congé plus long et à un niveau de prestations plus élevé.

Le coût estimé de l’augmentation du taux de remplacement du revenu, compte tenu de la hausse attendue du taux de participation, s’élèverait au total à 3,9 milliards de dollars en 2025.

Recommandation

Aligner le seuil du maximum de la rémunération assurable (MRA) sur celui du Régime québécois d’assurance parentale, fixé à 98 000 $ en 2025 et indexé en fonction de l’évolution annuelle de la rémunération hebdomadaire moyenne.

L’augmentation du seuil du MRA entraînerait automatiquement une hausse du taux maximal de prestation, qui passerait à 1 037 $ par semaine pour un taux de remplacement du revenu de 55 %, soit une augmentation de 342 $ par rapport à la prestation maximale actuelle de 695 $. Les parents bénéficiant du régime prolongé à 33 % de prestations recevraient 622 $ par semaine, contre 417 $ actuellement.

Si le taux de remplacement du congé standard était porté à 75 %, la prestation maximale serait de 1 413 $ par semaine, soit plus du double de la valeur actuelle. Les parents ayant opté pour le congé prolongé recevraient quant à eux un maximum de 1 037 $ par semaine, soit près de trois fois la valeur actuelle.

Les contraintes imposées par la BD/MSPS, qui ne contient que des données sur le revenu assuré à concurrence du MRA en vigueur, nous empêchent de modéliser l’incidence qu’un seuil du MRA plus élevé pourrait avoir sur la couverture du programme et sur ses coûts. Nous pouvons toutefois affirmer avec certitude qu’un seuil plus élevé offrirait une bien meilleure sécurité financière aux familles sur toute l’étendue de l’échelle des revenus. Les études comparatives suggèrent également que des prestations plus élevées encourageraient une plus grande participation au congé parental, en particulier chez les pères et les deuxièmes parents.

Nous tenons également à souligner qu’un taux de remplacement plus élevé de l’AE se traduirait probablement par des économies pour les employeurs qui proposent des prestations parentales supplémentaires. Selon les modalités de couverture et de durée de leur politique en la matière, une grande partie, voire la totalité, de ces coûts pourrait être compensée.

2. Élargir l’accès au congé parental

Par ailleurs, d’autres réformes permettraient d’améliorer considérablement la portée et l’impact du système canadien de congé parental en élargissant l’accès au programme d’AE. Actuellement, le seuil d’admissibilité aux prestations parentales de l’AE est de 600 heures. De nombreux groupes de travailleuses et de travailleurs sont systématiquement exclus de l’accès au programme en raison de ses critères d’admissibilité restrictifs, comme nous l’avons illustré dans ce rapport. À défaut de créer un régime distinct, il est impératif d’élargir l’admissibilité au programme d’AE actuel.

Recommandation

Établir une règle d’admissibilité pancanadienne moins stricte au congé parental de l’AE, tant pour les travailleuses et travailleurs salariés que pour les travailleuses et travailleurs autonomes, en s’inspirant du Régime québécois d’assurance parentale. Cette approche permettrait d’éliminer les obstacles auxquels se heurtent les travailleuses et travailleurs à salaire modeste, à temps partiel et à la demande, qui paient des cotisations mais sont souvent exclus du système, en particulier dans les grandes villes où le taux de chômage est relativement faible. Pour ce faire, il faudrait également mettre en place un système d’affiliation automatique des travailleuses et travailleurs autonomes, comme c’est le cas au Québec.

Le Budget fédéral alternatif du CCPA138Voir notamment Budget fédéral alternatif 2025 : Une plateforme pour l’avenir, construire les fondations, Centre canadien de politiques alternatives, septembre 2024. recommande depuis longtemps un seuil d’admissibilité de 360 heures par semaine pour les prestations régulières et spéciales, soit l’équivalent de 12 semaines de 30 heures, une configuration que l’on observe souvent dans de nombreuses industries de services. Aux fins du présent rapport, nous recommandons d’adopter plutôt le seuil minimal de rémunération assurable du Québec, soit 2 000 $ de salaire et de revenu de travail autonome combinés au cours de l’année précédente, quel que soit le nombre d’heures travaillées. Nous estimons qu’une telle mesure augmenterait de 6 770 le nombre de parents qui demandent des prestations parentales d’AE, pour un coût de 112 millions de dollars. Cette mesure permettrait de mieux servir les parents à faible ou modeste revenu et de donner aux travailleuses et travailleurs autonomes un accès à un soutien vital au revenu pendant les 18 premiers mois de vie de leur enfant. Ce serait un grand pas vers la mise en place d’un système universel.

La combinaison de ces deux stratégies serait encore plus efficace pour garantir un environnement économique sûr à la grande majorité des nouveaux parents. L’impact de ces deux mesures sur le taux de participation est illustré dans la figure 12. Nous estimons que le nombre de bénéficiaires augmenterait de près de 67 000 en 2025, les hausses les plus importantes se situant dans les deux déciles inférieurs. Cela inclut une réduction du nombre de parents « exclus » et une augmentation du taux de participation grâce à l’augmentation du taux de remplacement du revenu. Ces familles recevraient en moyenne 745 $ par semaine, soit 31 000 $ sur l’ensemble de la période de congé, pour un coût total de 4,1 milliards de dollars.

Il convient de noter que ces calculs se concentrent uniquement sur le congé parental et la situation des nouveaux parents d’enfants âgés de 0 à 18 mois. L’adoption de critères d’admissibilité plus inclusifs pour les prestations parentales et d’un taux de remplacement du revenu plus élevé aurait des répercussions importantes sur les prestations régulières du programme d’AE ainsi que sur d’autres types de prestations spéciales. Nous pensons qu’expérimenter une nouvelle approche du congé parental pourrait contribuer à encourager la réforme de l’ensemble du système d’AE.

3. Renforcer l’aide aux familles à faible revenu

Pendant la pandémie, un plancher de 500 $ par semaine a été établi pour les prestations régulières et spéciales d’AE, ce qui a permis de stabiliser le pouvoir d’achat et l’économie. Comme nous l’avons vu précédemment, l’instauration de cette prestation plancher a permis à plus de la moitié des bénéficiaires de l’AE de recevoir des prestations hebdomadaires plus élevées que celles qu’ils auraient reçues dans le cadre du système précédent (et actuel)139Voir Direction de la politique de l’assurance-emploi, EDSC, 2024. Cité dans CAEC, 2024, p. 41.. Le plancher « temporaire » de 500 $ pour les prestations d’AE a été abandonné à la fin de l’année 2021. Réinstaurer maintenant une prestation plancher pour le congé parental garantirait un revenu adéquat à tous les parents, en particulier ceux qui appartiennent à des communautés marginalisées, qui doivent s’occuper de leurs jeunes enfants dans le climat d’incertitude économique actuel.

Recommandation

Instaurer une prestation plancher de 500 $ par semaine afin d’augmenter les prestations des familles à faible revenu.

L’instauration d’une prestation plancher de 500 $ par semaine aurait un impact considérable sur la valeur moyenne de la prestation parentale, qui augmenterait de 11,8 % pour atteindre 588 $ par semaine. L’impact serait particulièrement important pour les parents à faible revenu. Ceux qui se situent dans le premier décile du revenu familial bénéficieraient d’une augmentation de 204 $ (soit 68,5 %), pour une prestation totale de 502 $ par semaine. L’instauration d’une prestation plancher favoriserait également un taux de participation beaucoup plus élevé. Dans le décile le plus bas, 10 562 personnes de plus recevraient des prestations parentales—et pour l’ensemble des tranches de revenu, on compterait 25 157 bénéficiaires de plus, soit une augmentation de 8,3 %.

Une prestation minimale de 500 $ permettrait de réduire considérablement la précarité financière des parents à faible revenu. En effet, pour ceux qui se situent dans le décile le plus bas, il serait plus avantageux de prendre un congé pour s’occuper d’un nouvel enfant que de continuer à travailler. Nous estimons que le congé parental de ce groupe de nouveaux parents augmenterait de 12,1 semaines, dépassant ainsi la moyenne des autres parents (à environ 40 semaines). Leur revenu total de prestations doublerait pour atteindre 23 666 $, se rapprochant ainsi de celui des parents des groupes à revenus plus élevés. Au total, cette réforme coûterait environ 1,2 milliard de dollars.

4. Accroître la flexibilité du système de congé parental

L’une des caractéristiques les plus attrayantes des régimes de congé parental dans les pays nordiques réside dans le degré de flexibilité accordé aux parents. « En Suède, par exemple, le congé parental se compte en jours plutôt qu’en semaines, et le temps de congé peut être pris de différentes manières : en une ou plusieurs fois, avec des options à temps plein ou à temps partiel, et à n’importe quel moment jusqu’au jour où l’enfant atteint l’âge de 12 ans (mais seuls 96 jours peuvent être utilisés à partir du 4e anniversaire). »140Andrea Doucet et Kim de Laat, 2022, « Parental leave needs an overhaul », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques (traduction libre). Ces régimes reconnaissent que « les besoins en matière de congés parentaux vont largement au-delà de la première année de vie de l’enfant ».

Recommandation

Accroître la flexibilité dans la prise des congés, en s’inspirant des modèles européens dans lesquels les parents ou aidants peuvent prendre leur congé en une ou plusieurs fois, à temps plein ou à temps partiel, ou sur plusieurs années. Pour encourager la prise du congé parental par les pères et les deuxièmes parents, il conviendrait de transformer l’actuelle prestation parentale partagée en un droit individuel non transférable et indépendant de l’admissibilité du co-parent, avec la possibilité pour les parents célibataires de prendre un congé plus long.

Dans le même ordre d’idées, le gouvernement du Québec devrait instaurer une option de congé prolongé pour les nouveaux parents141Voir Sophie Mathieu et Corinne Vachon Croteau, 2023, « Myopie et limites de la politique familiale québécoise », Options politiques, Institut de recherche en politiques publiques..

5. Résoudre le conflit entre prestations régulières et spéciales qui empêche les parents d’avoir accès au congé

Les futurs parents se heurtent régulièrement à des difficultés pour faire valoir leur droit à un congé parental payé, à cause du fait que ce régime a été intégré au programme d’assurance-chômage. La limite actuelle de 50 semaines peut empêcher les personnes qui sont mises à pied avant ou après un congé parental, les femmes en particulier, de bénéficier des prestations régulières ou spéciales de l’AE. En 2022, le Tribunal de la sécurité sociale a estimé que cette restriction était contraire aux dispositions de la Charte des droits et libertés en matière d’égalité.

Recommandation

Éliminer la limite de 50 semaines pour le cumul des prestations parentales spéciales et des prestations régulières, en portant la période de référence et de prestations à 104 semaines. Cette mesure modeste coûterait environ 15 millions de dollars par année142Saba Aziz, 15 février 2024, « Canada’s EI system is ‘unfair’ for new parents, NDP and labour unions say », Global News..

Annex 1: Tableau récapitulatif des programmes

Annex 2: Évolution du système canadien de congé parental

Évolution du système canadien de congé parental

1971 : Instauration de 15 semaines de prestations de maternité pour les mères biologiques, disponibles par le biais du système d’assurance-chômage, à condition d’avoir un minimum de 300 heures d’emploi assurable.

1984 : Instauration de 15 semaines de prestations d’adoption.

1990 : Instauration de 10 semaines de prestations parentales partageables (englobant les prestations d’adoption et l’éphémère régime de prestations de paternité mis en place en 1988).

1996 : Mise en place du nouveau programme d’assurance-emploi (AE), avec des critères d’admissibilité plus restrictifs. Tous les nouveaux demandeurs doivent désormais avoir accumulé au moins 700 heures d’emploi assurable.

1996 : Instauration du supplément familial en remplacement du taux de prestation pour charge de famille (60 %), auparavant réservé aux personnes à faible revenu et à leurs personnes à charge. Les demandeurs ayant des enfants et dont le revenu familial net est inférieur à 25 921 $ peuvent bénéficier d’un taux de prestation plus élevé, pouvant aller jusqu’à 80 %.

2001 : La durée des prestations parentales passe de 10 à 35 semaines et le seuil d’admissibilité est abaissé de 700 à 600 heures. Les prestations parentales sont également étendues aux couples de même sexe.

2006 : Le Québec met en place le Régime québécois d’assurance parentale. Les prestations parentales sont accessibles à tout parent ayant gagné au moins 2 000 $ au cours de l’année fiscale précédente. Un régime de base et un régime particulier offrent chacun des options flexibles en termes de durée et de taux de remplacement du revenu. La participation au régime est obligatoire pour tous, y compris les travailleuses et travailleurs autonomes.

2011 : Instauration d’un ensemble de prestations spéciales d’AE à participation volontaire pour les travailleuses et travailleurs autonomes (prestations de maternité, parentales, de maladie, de compassion et d’aidant auprès d’un enfant ou d’un adulte).

2017 : Réduction du délai de carence de l’AE, de deux semaines à une semaine. Instauration d’une option de prestation parentale prolongée de 18 mois.

2019 : Instauration d’une prestation parentale partagée de d’AE, soit cinq ou huit semaines de prestations supplémentaires pour encourager davantage de pères à prendre une partie du congé parental. Les familles ne peuvent bénéficier de cette nouvelle option que si les deux parents remplissent les conditions requises et reçoivent des prestations.

2020 : Le nombre d’heures requis pour avoir droit aux prestations de maternité et parentales de l’AE est temporairement ramené à 120 heures, et la prestation minimale est fixée à 500 $ par semaine.

2021 : Le nombre d’heures d’admissibilité passe à 420 et la prestation minimum est ramenée à 300 $ par semaine. Instauration d’un ensemble d’améliorations au RQAP, dont l’augmentation du seuil de revenu pour le supplément aux familles à faible revenu et du taux de remplacement du revenu143Sophie Mathieu, 2021..

2022 : Le seuil d’admissibilité d’avant la pandémie est rétabli, le nombre d’heures requises est ramené à 600, comme en 2000. Le seuil de revenu minimum est supprimé.

2023 : Annonce d’une nouvelle prestation parentale fédérale de 15 semaines pour les parents adoptifs (qui inclura les parents dont l’enfant est issu d’une grossesse de substitution), toujours en attente.

Annex 3: Taux de couverture des congés de maternité et parental

Taux de couverture des congés de maternité et parental en fonction de certaines caractéristiques démographiques et économiques, 2021

Annex 4: Méthodologie

Méthodologie utilisée pour estimer l’impact des recommandations proposées

Pour cette analyse, nous avons utilisé la Base de données et Modèle de simulation des politiques sociales (BD/MSPS) de Statistique Canada, qui permet de simuler des changements au sein du système fédéral d’imposition et de transferts. Dans le cas présent, nous avons simulé des changements dans le programme d’AE. La BD/MSPS a été modifiée sous boîte de verre afin d’ajouter de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux rapports sur les détails du congé parental. La fonctionnalité de l’AE au sein de la BD/MSPS est basée sur les données administratives de l’AE, dans ce cas à partir de 2019, mais indexées jusqu’en 2025.

Bien que la BD/MSPS permette de modifier les paramètres existants, comme le taux de remplacement, elle ne permet pas d’estimer les changements de comportement. Dans cette étude, nous devions notamment évaluer comment les parents pourraient réagir si les prestations parentales de l’AE étaient augmentées. Heureusement, le RQAP du Québec nous permet déjà d’observer l’incidence d’un système de prestations parentales plus généreux et de l’étendre à l’échelle nationale. Les valeurs du RQAP se trouvent également dans la BD/MSPS.

Pour évaluer l’incidence de prestations plus élevées sur les comportements, nous analysons la prestation moyenne des parents bénéficiaires du RQAP en fonction du décile de revenu d’emploi de la « famille nucléaire » avant la naissance de l’enfant144Notre unité d’analyse est la « famille nucléaire », définie comme un couple ou un parent seul avec un ou plusieurs enfants (adoptés ou par alliance) de moins de 18 ans qui n’ont jamais été mariés et qui vivent tous ensemble dans le même logement. Elle exclut les membres de la famille élargie tels que les grands-parents, les oncles/tantes ou les enfants adultes ayant leur propre famille, même s’ils vivent dans le même logement.. Le taux de participation au RQAP pour les parents de jeunes enfants est pratiquement uniforme, quel que soit le décile de revenu145Sous le RQAP, le nombre moyen de semaines prises varie selon le décile de revenu. Les nouveaux parents des déciles de revenu inférieurs prennent généralement plus de semaines que ceux des déciles de revenu supérieurs.. Au fur et à mesure que la prestation hebdomadaire moyenne d’AE augmente dans un décile donné, en raison des divers changements proposés, le taux de participation au congé parental, pour ceux qui sont admissibles mais ne s’en prévalent pas, augmente proportionnellement à l’écart entre la prestation moyenne d’AE d’origine et la prestation moyenne du RQAP. Une fois que la prestation hebdomadaire moyenne du RQAP est atteinte dans un décile donné, on suppose que tous les parents admissibles à l’AE prendront un congé parental, comme c’est le cas au Québec sous le RQAP.

Une approche comportementale similaire est utilisée pour les semaines prises. Dans les trois déciles de revenu inférieurs, on observe une nette différence entre le nombre de semaines prises et la moyenne générale. Dans le reste du Canada, les déciles à plus faible revenu prennent nettement moins de semaines que la moyenne de 40 semaines des autres déciles. En revanche, au Québec, les déciles de revenu inférieurs prennent nettement plus de semaines que les 40 semaines des autres déciles québécois. Comme pour le changement de comportement en matière de participation, nous supposons que le nombre de semaines de congé parental de l’AE se rapprochera de celui du RQAP, à mesure que le montant des prestations parentales de l’AE augmentera, comblant ainsi l’écart avec le niveau de prestations du RQAP dans chaque décile.

Pour obtenir le coût global, l’impact d’un taux de participation plus élevé et d’un plus grand nombre de semaines de congé sur les comportements est ajouté à l’impact initial associé aux personnes qui prenaient déjà un congé parental de l’AE.

Les déciles de revenu ont été construits à partir du revenu d’emploi de la famille nucléaire avant la naissance de l’enfant. La BD/MSPS prévoit deux sources possibles de revenu avant la naissance : le revenu de l’année civile précédente et la rémunération assurée figurant sur la demande de prestations d’AE. Le problème posé par l’utilisation du revenu de l’année civile précédente est que l’enfant peut être né au cours de cette année-là, ce qui ne permet pas d’obtenir le revenu exact d’avant la naissance. Cependant, la rémunération assurée, bien que réellement antérieure à la naissance, est limitée au maximum de la rémunération assurable, ce qui crée un plafond de revenu artificiel. Pour atténuer ce problème, la valeur la plus élevée est retenue comme revenu antérieur à la naissance pour chaque parent. Malheureusement, cette approche sous-estime probablement le revenu antérieur à la naissance, en particulier celui des femmes, qui est le plus susceptible d’être affecté par la naissance d’un enfant.

Remerciements

Nous tenons à souligner la contribution de nos collègues du CCPA et des relecteurs externes, notamment Lindsey McKay, Bhavika Patel, Silja Freitag, Pierre-Samuel Proulx et John Eustace, qui nous ont aimablement fourni de précieux conseils sur la méthodologie, le contenu et la conception de ce rapport. Trish Hennessy, Amanda Klang, Jon Milton et Tim Scarth ont transformé ce rapport avec grand talent, à la fois en le rendant plus attrayant et en élargissant sa portée et son impact. Merci à tous. Ce projet a été financé par l’Alliance de la fonction publique du Canada.

Traduction par Danielle Boudreau.